La boue, un texte de Hélène Bard…

5 mai 2016

La boue — 2 mai 2016

(C’est avec joie que nous accueillons cette collaboration de l’écrivaine Hélène Bard. AG)

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« Et c’est quoi, votre objectif ? » La travailleuse sociale joint ses mains devant elle, me regarde droit dans les yeux. Elle attend ma réponse. Je fuis son regard. Je réfléchis. Me concentre sur une scratch du plancher flottant. « Reprendre le contrôle de ma vie », que je dis en fixant un grain de beauté sur son avant-bras gauche. Elle recule, attrape son crayon. Le dépose sur ses feuilles lignées. « Ce n’est pas un peu trop vous demander ? »
« Non… »

C’est ce que je dois faire. C’est dans la routine que je suis bien. C’est dans le tout pareil que je survis. Et là, ma vie est éparpillée, en désordre. On dirait qu’une bombe a explosé en moi, une bombe faite de clous, de vis, de lames de rasoirs, de morceaux de verre et de couteaux de cuisine. Mon intérieur est en charpie, défait, en sang. Il n’est que ruines. Les murs sont salis, dégoulinants d’émotions refoulées. Je suis assise en tailleur au milieu des débris. Désorganisée, désorientée, démembrée, déchiquetée, réduite en bouillie.

Je regarde un morceau de moi. Je ne sais pas où il va. C’est un casse-tête sans image. Avec des pièces perdues. Le dessin est à refaire. Je m’empare d’un souvenir. Je ne sais pas où le ranger. Je prends un morceau de vécu dans mes mains, le soupèse, le retourne, l’observe de près, le repose. Je n’ai pas l’impression qu’il m’appartient. C’était avant l’éclatement, avant la déflagration. Je ne sais plus quoi faire de cette odeur, de ce souvenir, de cette photographie, de cette voix, de cette date, de cette réplique. Je ne sais plus où aller. Je suis perdue à l’intérieur de moi, étrangère à celle que j’ai été.

« Si ça pouvait se faire en deux semaines… » que je lâche à la blague. « Je serais au chômage », qu’elle riposte. « On fixe un prochain rendez-vous dans un mois ? qu’elle ajoute. Ça vous va ? »
Je m’empare de mon agenda. Tourne les pages. Les semaines défilent trop vite, que je me dis. « Le onze, ça irait, même heure ? »

Aussitôt qu’elle est partie, je revêts ma vraie peau, j’enlève mon costume social et m’habille de celle que je suis : pantalons d’exercice et camisole de coton. Mon odeur. Ma couleur. Je défais mes cheveux. Dégagée de l’uniforme qui m’engonçait, je gratte mon cuir chevelu douloureux. Mon corps veut de moins en moins de ces habits serrés, de ces conventions. J’ai vieilli, que je pense en me regardant dans le miroir d’entrée. Mon visage descend. Le pli du souci s’est transformé en ride. La vieillesse prend ses aises. Ma chienne sort de sa cage, se secoue. Je viens de m’emparer de la laisse. J’ai déjà chaussé mes espadrilles. Nous partons.

Je marche. Vite. Le plus vite possible. Monte des côtes. Martèle l’asphalte. Je ne lève pas les yeux. Je connais chacune des aspérités de mon parcours. Tourne à gauche, continue tout droit, tourne à droite, détache le chien, m’engage sur un chemin de terre bordé de milliers d’arbres, habités par des centaines d’oiseaux, des dizaines d’écureuils. Les bancs de neige ont diminué depuis hier. Les calvettes se dégagent. Ça sent la merde de chien qui fond. Ça sent la terre qui se réchauffe, la terre humide, gorgée d’eau. J’enjambe une rigole pendant que ma chienne s’étire le museau dans le vent. Elle a repéré quelque chose. Une bête qui vient de se réveiller ou des excréments de chevreuil qui dégèlent. J’arrive sous les pylônes. Me dis qu’il y a des décennies que je ne les entends plus grésiller, sinon quand il pleut, quand ils friturent si fort qu’on a l’impression qu’ils nous enveloppent, que l’air est sur le point d’exploser, de nous emporter dans l’orage.

J’avance dans le sentier boueux, mes pieds s’enfoncent dans la boue, si molle qu’on dirait du Nutella fondu. Jealain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec souris. Un geai bleu traverse mon champ de vision en rouspétant. Son pote le suit de près. Ils se perchent sur une branche encore nue. Ils crient. Je pleure.

Le monde est en ordre.

Ma chienne se roule dans la boue. Son pelage blond croûté ; son cou, son collier, son dos, salis. Son odeur, camouflée. Elle se secoue bruyamment et recommence à trotter. Je suis groundée. Enfin. Loin de l’agenda, des rendez-vous, des retours d’appel. Loin des formulaires à remplir. Loin des conventions, des non-dits, du social et du relationnel. Dans ma solitude faite de poils, de plumes, de terre et de bois, les souvenirs se replacent. Tant de ménage encore à faire. Tant d’émotions à éponger. Un gigantesque casse-tête à assembler. Toute une existence à remettre en ordre. Je soupire, baisse les yeux, fixe le sol pour ne pas glisser. Rester dans le sentier. Les deux pieds dans la boue. Faire la même chose demain, à la même heure, de la même façon. Encore, jusqu’à la fin des temps. Et reprendre ainsi le contrôle de ma vie.

Notice biographique

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecHélène Bard est née en 1975 à Baie-Saint-Paul, dans Charlevoix. Elle détient un baccalauréat en littérature française et une maîtrise en création littéraire de l’Université Laval. Elle a publié La portée du printemps, Les mécomptes et Hystéro.
Passionnée des chiens depuis toujours, elle écrit également des chroniques qui traitent de la conciliation meute-famille dans la revue Pattes libres, diffusée sur le Web.
Hélène Bard est aussi maman de deux jeunes garçons, en plus d’être réviseure linguistique et stylistique, et d’enseigner la création littéraire.
Vous pouvez la suivre sur son site personnel.

(Tiré du Huffington Post.)


L’audition, un texte de Denis Ramsay…

16 janvier 2016

L’audition

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Griot

Cette histoire est un fait vécu qui m’a été conté par la compagne du principal intéressé. Je ne sais pas le nom du personnage ; je l’appellerai donc Traoré, Traoré Binaré. Son pays d’origine ? Probablement le Nigéria, ou dans la région, en Afrique occidentale, en tout cas. Mais l’histoire se passe au Canada. Traoré n’a pas dormi de la nuit. Il est très nerveux. Il passe son audition ce matin à Immigration Canada.
Traoré est un réfugié politique. Le régime en place lui a fait comprendre qu’il n’aimait pas la contestation musicale. Traoré est chanteur et il a composé une chanson qui dénonçait l’absence de conscience de la classe dirigeante.
Traoré prit le métro, descendit à la Place des Arts ; le nom lui semblait de bon augure. Il se dirigea au complexe Ti-Guy Favreau, rencontrer les fonctionnaires d’Immigration Canada. Il rencontrait plutôt des commissaires, soit des fonctionnaires qui ont le droit de décision. Ils allaient décider de son cas ce matin dans une entrevue qu’ils nommaient audition. Traoré le prit dans le sens artistique plutôt que juridique, pour se mettre à l’aise. Il avait déjà passé quelques auditions, ici même, à Montréal. Il avait été retenu pour participer au festival africain qui aurait lieu au printemps 1998.
— M. Binaré ? Assoyez-vous.
Il s’agissait d’un petit local anonyme, sans fenêtre. Une table et quatre chaises le meublaient, mais trois chaises étaient du même côté de la table : le postulant citoyen face aux trois commissaires, deux hommes et une femme. L’enjeu était très important pour le postulant. Non qu’il idéalisait « le plus meilleur pays du monde ». Il en connaissait autant sur le Canada que nous sur le Burundi… Il ne voulait simplement pas retourner chez lui où on lui avait promis une condamnation sans procès. Le problème de Traoré, c’est que la population chantait sa chanson sur les barricades, sa balade devenait l’hymne de la contestation, le chant de ralliement.
— M. Binaré, demeurez-vous toujours à la même adresse ?
— Oui…
— Avec Mme Jocelyne…
— Mme Jocelyne, oui.
— Nous avons examiné votre dossier. Nous vous laissons maintenant la chance de vous faire entendre.
— Si je retourne là-bas, je suis mort. De toute façon, ils ne me laisseront jamais chanter de nouveau, ce qui revient presque au même.
— Pouvez-vous nous chanter la chanson litigieuse ?
— Là ? Maintenant ? Ici ?
— Oui ? Y a-t-il un problème ?
— Non. Pas de problème.
Il en voyait plusieurs : une atmosphère trop sèche et poussiéreuse, pas de musicien, pas même un petit tambour pour s’accompagner, et un public très restreint. Il s’exécuta néanmoins. Le grand Africain chanta haut et fort, avec émotion et sans fausses notes ; il était un professionnel. Il ne reçut aucun applaudissement, que d’autres questions.
— Est-ce là la seule chanson à votre répertoire demanda la femme ?
— Je ne vivrais pas vieux avec une seule chanson !
Traoré s’en était voulu d’avoir si franchement livré sa pensée. La docilité face à la machine gouvernementale était un réflexe de survie pour un Africain. Elle souriait… bizarre !
— Bien sûr. Quel genre de chansons chantez-vous habituellement ?
— Du folklore Haoussa, des chansons de fête et des chansons d’amour.
— Pouvez-vous nous en chanter une ?
— Une chanson d’amour ? Oui, je peux.
Il pensa à Jocelyne qui l’attendait chez lui, chez elle, chez eux, ici au Canada. Il regarda la commissaire droit dans les yeux, s’imaginant vouloir la séduire. Et il livra son art a capella, dans ces conditions exécrables, car il était un artiste de la voix, comme son père et son grand-père avant lui. Dans la culture de son peuple, ce talent, transmis sur trois générations, lui octroyait le titre convoité de « griot ». Une fois sa prestation terminée, il salua. Les commissaires s’échangèrent quelques mots à voix basse et quelques notes manuscrites. Finalement, celui qui devait être le chef se leva et tendit la main à Traoré.
— M. Binaré, bienvenue au Canada !
C’était réglé. Le nouveau citoyen trépignait de joie ; il était heureux. Il n’aurait jamais cru pouvoir entrer dans ce grand pays froid pour une chanson… ou deux !

Notice biographique 

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonieL’auteur se présente ainsi :

« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée.  Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie.  Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants.  Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires.  Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini.  D’autres romans sont en chantier…  »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Prolégomènes à toute métaphysique moléculaire future, Nando Michaud…

15 mars 2015

Prolégomènes…

On y pense peu, mais la peau est le lieu où s’arrête l’individu et où commence le restechat qui louche maykan alain gagnon francophonie de l’univers.  En plus de juguler les pulsions expansionnistes de l’identité, cette membrane bloque l’intrusion de l’altérité.  Pourtant, elle est aussi zone d’osmose où des cerbères protéiniques régulent les échanges – rejetant ceci, admettant cela – qui font tourner la machine qu’est la vie.

Il est certain que le processus de complexi­fication qui a créé l’intelligence aurait tourné court si le jeu des réactions physico-chimiques n’avait d’abord accouché d’une enveloppe où a pu germer un embryon de système ner­veux.  Sur la voie qui va des organismes unicellulaires dérivant dans la soupe originelle, jusqu’à l’homo sapiens capable de s’appréhender comme objet évoluant dans un en­sem­ble de dispa­ri­tés discer­nables, une étape a dû être franchie : la constitution de la peau.

Il s’ensuit que la fermeture sur soi est préalable à l’ouver­ture sur l’autre et c’est ce paradoxe qui a présidé au développement de facultés cognitives.  Du sim­ple au complexe, l’affaire s’est réalisée par l’association d’unicellulaires opportunistes.  Comme des bri­ques iden­tiques peuvent s’as­sem­bler en une multitude d’objets différents, ces élé­ments ont établi des réseaux symbiotiques dont les possibilités sur­pas­saient la somme des possibilités individuelles.  D’essais en erreurs, des segments se sont spécialisés pour répondre aux pressions de l’environnement.  Ainsi est apparue une super­structure capable de coordonner un nombre grandissant d’ha­bi­letés, pour fina­le­ment en arriver à manipuler des abstractions.  Sans la peau, le bouton à quatre trous n’au­rait jamais existé.

***

Ces pensées me traversent l’esprit pen­dant que ma main frôle les seins de Pauline.  Elle fris­sonne sous la caresse et ses frissons engendrent les miens, qui amplifient les siens, et ainsi de suite.  C’est par la peau que naissent et transitent ces flots d’émo­tions qu’au­cun autre sens ne pourrait susciter et transmettre.

Nos caresses se pré­cisent.  La peau étant zone d’os­mose, un peu de moi se dissout dans Pauline et réciproquement.  L’échange dé­clenche des sécrétions hormo­nales qui diffusent des ordres dans l’or­ga­nisme.  Glycémie, tension arté­rielle, taux d’adrénaline, les paramètres bio­métri­ques impli­qués dans le processus s’ajustent en vue de l’éclatement final.  Le besoin de fusionner devient si impé­ratif que nos sexes sont attirés comme des ai­mants de polarité inverse.

Je sais qu’en faisant l’amour, nous obéissons à un réflexe vieux comme la reproduction sexuée qui ne poursuit qu’un ob­jec­tif : perpétuer l’espèce.  Nous savons contourner le piège pour tirer jouis­sance de l’appât, mais peu importe.  La stratégie de la gratification fonctionne malgré nos ruses pour la détourner de ses fins.  L’humanité a mis plusieurs milliers d’années avant d’attein­dre, vers 1900, le milliard d’in­di­vi­dus.  Lorsque les moyens de contraception sont devenus sûrs au milieu du XXe siècle, elle en comptait déjà le double.  Cin­quante ans plus tard, la popula­tion s’était multi­pliée par trois.

On constate un fléchissement de la crois­sance démo­gra­phique en Occident, mais l’épi­dé­mie persiste à l’échelle plané­taire.  À l’image des transnationales qui installent leurs usines sous des cieux monétaires plus cléments, les centres de procréa­tion se concen­trent maintenant là où les coûts de fabrication des bébés sont moin­dres.  L’émi­gration dis­tri­bue ensuite les surplus dans les pays riches à court de main-d’œuvre.  Résultat : la po­pu­la­tion mondiale dé­passera bientôt huit mil­liards.  Et ça ne s’arrêtera pas là, parce que notre système écono­mique est fondé sur la croissance per­pé­tuelle de la production et, donc, du nombre de consommateurs.

Le développement durable n’y changera rien.  Ce concept magique, sorti d’on ne sait quel chapeau, n’est qu’un leurre, une con­tra­diction dans les termes ; au mieux, un ralentisseur sur la route du pro­grès infini.  Ses thuriféraires sont de bonne foi, mais ils ne prêchent rien d’autre que la nécessité de faire durer le dévelop­pe­ment.  De quelque ma­nière que l’on retourne la question, on se heurte au même constat : l’espèce hu­maine est lancée dans un proces­sus de pro­li­fération que rien ne peut en­diguer.

***

Le plaisir devient si intense qu’une partie de moi plane dans les étoiles comme si une com­munion s’éta­blissait entre elle et le cosmos.  Puis, comme Icare s’écrasa après s’être brûlé les ailes en s’approchant du Soleil, je retombe dans la grisaille quotidienne après avoir flirté avec la lumière.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieLorsque je retrouve l’unité, une autre idée saugrenue me vient : je ne suis peut-être qu’un organisme élé­men­taire déri­vant dans une soupe originelle imperceptible de ce côté-ci de la réalité.  Une simple brique qui, sur la voie de la com­plexi­fica­tion, servira à fabri­quer une peau destinée à une ma­chine bio­lo­gique existant dans un autre ordre de grandeur, d’où notre besoin incoercible de proliférer.

Il y a sans doute de la tristesse post coïtale assaisonnée de pan­théisme candide dans la genèse de cette idée.  N’empêche ! elle me donne la chair de poule.

Pauline accentue le ma­laise lors­qu’elle susurre :

— Tu sais, chéri, mes règles retardent…

 Nando Michaud

Notice biographique

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Après avoir passé 11 ans à écrire des discours ministériels, j’essaie maintenant de me refaire une santé en tâtant un autre type d’absurdités… sans effets secondaires déplorables.  J’ai publié jusqu’ici un recueil de nouvelles (Virages dangereux et autres mauvais tournants) et neuf romans, dont Les montres sont molles, mais les temps sont durs, Le hasard défait bien des choses, Un pied dans l’hécatombeet La guerre des sexes ou Le problème est dans la solution.


Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

20 novembre 2013

Peau d’âme

Cher Chat,

« Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre.  C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts ou des doigts au bout de mes mots. »* Si j’en crois ce que dit Barthes, j’écris donc avant tout pour vous toucher.  Or, le toucher est le seul des sens qui soit réflexif.  Je peux voir sans être vue, vous entendre sans que vous ne m’entendiez, mais je ne peux toucher sans être touchée.

De nombreuses questions m’effleurent l’esprit à ce sujet.  Permettez donc, Chat, que nous tâtions le terrain ensemble.

Mon langage est donc une peau.  Une peau que j’expose.  On peut en effet supposer que toute peau d’écrivain tend à être parcourue, explorée, encerclée, embrassée, retenue.  Encore faut-il que cette peau vous touche.  Mais qu’est-ce qu’une écriture qui touche ?  Sont-ce celles qui se mettent à nu ?  N’avoir que la peau sur les mots ?  Ne peut-on alors me prendre au pied de ma lettre que dans mon plus simple appareil ?

Je ne suis pas une sainte nitouche, mais la pudeur, chez moi, est une deuxième peau.  Certes, je pourrais me glisser dans la peau d’un personnage, mais à travers lui vous mettriez quand même le doigt sur mes tumultes, non ?  Sur ma peau d’âme ?  De toutes les façons, je n’ai pas de personnage sous la main.  Et puis, je suis bien dans ma peau de chroniqueuse.  Vous me l’avez choisie juste à ma taille.  Il y a deux ans.

Il y a deux ans justement.  Je devrais commencer à toucher ma bille et vous, en me lisant, à ne plus toucher terre.  Mais, après un certain âge, ne finit-on pas plutôt par avoir trop de peau ?  À force de jouer sa peau, le mot prend de l’assurance, de l’embonpoint, de la maturité.  La peau ne balbutie plus.  Des pattes-d’oie effrontées se profilent déjà derrière mes pattes de mouche jadis timides.  Et si je perdais mon capital lexical en capitons redondants ?

Vous pouvez, cher Chat, me rassurer en me disant que le lecteur ne touche véritablement qu’avec les yeux…  Il n’en reste pas moins que l’écriture est un rêve que beaucoup caressent.  Alors, pour qu’au moins elle vous soit douce, j’hydrate, j’émulsifie, j’exfolie, je lubrifie ma syntaxe.  Mais le relâchement cutané est inexorable, non ?

Je touche le fond quand je pense qu’un jour, on mettra peut-être de l’écran total sur mes pages pour qu’elles restent blanches.  Quelle angoisse !  Je ne veux pas déjà passer la main.  Alors, comment défendre ma peau d’un désert tactile ?  Me rebeller contre ma nature et devenir une peau de vache ?  M’imposer un régime amincissant et rétrécir mes ambitions comme peau de chagrin ?  M’offrir une augmentation grammaire qui me couterait la peau des fesses ?  Ce serait chair payée !  Exhiber le Kâma-Sûtra de ma langue s’essayant à toutes les ponctuations sans penser que certaines liaisons pourraient être dangereuses ?

Sous le bistouri de mes questions pointues, je cherche le moyen de faire peau neuve, mais les mots m’échappent.

Ne les ramassez pas, le Chat.  Après tout, je préfère toucher du bois et penser que ce sont les imperfections de ma peau-mémoire qui donnent le frisson.

Il me reste à trouver le mot de la fin qui vous laisserait sur votre faim.  Je l’ai au bout de la langue et ma langue est au bout de mes mots.  Je touche presque au but.  N’est-ce pas quand ma peau est à fleur de mots que votre bon sens capitule ?  Dites-moi que je vous ai touché et inévitablement, vous me toucherez en retour.

Sophie, peau de chroniqueuse.

*Extrait de Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes.

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Dires et redires, par Alain Gagnon…

25 juillet 2013

220px-Rime_of_the_Ancient_Mariner-Albatross-DoreFlibuste et texte…

Je me prépare à un autre acte de flibuste littéraire.  Frères de la Côte, réjouissez-vous ! Pisse-vinaigre, qui ne jurez que par votre originalité, chargez vos claviers de fiel !

Je refais le coup de Gilgamesh avec The Old Mariner’s Song de Samuel Taylor Coleridge.  J’y ajouterai même des thèmes et des images puisés sans vergogne dans Le Psautier de Mayence de Jean Ray, cet immense poète, gothique et gantois, que la littérature officielle – celle qui ne plagie jamais ! – a confiné aux enfants ou à ce sous-genre, ma chère, le fantastique… La Psyché déjà salive.  Avec ces deux lascars, délire garanti.

Ni traduction ni adaptation : flibuste et rapines, et autres exactions, en chevauchant ces textes qui eux-mêmes chevauchent la mer…

(Le chien de Dieu)

*

[…] Shakespeare aurait peut-être utilisé blancs, silences, non-dits comme artifices d’auteur, appâts, leurres – comme tous les grands illusionnistes qui en disaient moins que plus : Hemingway, Gogol, Kafka, Borges…  En sachant que les textes valent plus par ces interstices, où le lecteur (ou le spectateur) dépose ses propres matériaux, que par ce que l’auteur y exprime.  Tout comme aux échecs et au poker, l’imagination de l’adversaire (lecteur) est la meilleure alliée de l’écrivain.

(Le chien de Dieu)

*

C’est ce que je répète aux étudiants que je visite : « Vous souhaitez écrire et ne savez par où commencer ?  Écrivez le premier mot, la première phrase : pour le reste, le texte s’autogérera adéquatement si vous êtes honnêtes.  C’est-à-dire si vous ne le forcez à confesser des états d’âme ou des idéaux que vous souhaiteriez bien avoir et manifester. »

(Le chien de Dieu)

*

Lorsque je prête Guillevic, Valéry, Jaccottet ou Éluard à de nouveaux venus en littérature, je leur recommande : « Surtout, ne jetez même pas un coup d’œil à la préface.  Allez au texte ! » Avant que j’en arrive à ces précautions, le recueil me revenait après quelques semaines ou quelques mois avec un sourire gêné : « L’ai commencé ; pas eu le temps de le finir… Tu sais ce que je veux dire… » Ah ! Si, je le sais.  Le texte, bordel ! Allez au texte ! Roman ou poésie, le texte ! La seule vérité littéraire.

(Le chien de Dieu)

Notice biographique

Auteur prolifique, d’une forte originalité thématique et formelle, Alain Gagnon, ce marginal de nosnouvelle-image-1 lettres, a publié, à l’hiver 2011, Le bal des dieux, son trente-septième ouvrage. À deux reprises, il a remporté le Prix fiction-roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, soit en 1996 et en 1998, pour ses romans Sud et Thomas K. Il a également remporté, à quatre reprises, le Prix poésie du même Salon : en 2004, pour son recueil de poèmes Ces oiseaux de mémoire, en 2006, pour L’espace de la musique, en 2009, pour Les versets du pluriel et en 2012 pour Chants d’août. En 2011, il avait obtenu le Prix intérêt général pour son essai Propos pour Jacob.  Il a été le président fondateur de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES-CN) et responsable du projet des collectifs Un Lac, un Fjord, 1, 2 et 3. Il déteste la rectitude politique et croit que la seule littérature valable est celle qui bouscule, dérange, modifie les paysages intérieurs – à la fois du créateur et des lecteurs. De novembre 2008  à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé et de directeur littéraire aux Éditions de la Grenouille bleue, une nouvelle maison liée aux Éditions du CRAM, qui se consacrait à la littérature québécoise.  Il continue de créer et gère présentement un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche.  On peut lui écrire directement à : alain.gagnon28@videotron.ca

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


En marge de l’écriture, par Alain Gagnon…

18 juillet 2013

Texte, et magies du texte… (suite)

5. Faire confiance au texte.  (Les mots attirent les mots, les phrases, les phrases…)  Il est agile, cursif.  Il a besoin d’air frais, de vent ; de notre pauvreté, de notre nudité.  Il ne demande qu’à entraîner dans ses chevauches farouches.  Laisser courir le texte comme court l’esprit, là où il veut.  Il mène en des pays dont on ne saurait rêver, dresse sur les paysages intérieurs des idéaux plus fous  que les plus fous idéalismes.

6. J’ai échappé le fil de ma narration…  Impossible.  Il n’appartient pas à l’auteur de le tenir.  La trame repose dans le récit, et le récit respire dans le texte.  Peut-être même les bouts en sont-ils noués.  Le texte attend la nudité, la vacance.  Le lien sommeille dans les hautes herbes des accumulations mentales – des peurs surtout, de ses vanités et de ses caprices d’auteur.  …révéler l’art et cacher l’artiste…  (Oscar Wilde)  Sois humble.  Humble et patient.  Tais-toi.

7.  Lors des premières rencontres avec des lecteurs, je parlais d’abord de moi, pour ensuite en venir à mes ouvrages.  Un peu plus tard, je parlai d’abord de mes romans ou poèmes, pour en venir à ma biographie.  Ce que je tente maintenant : parler des textes, de mes rencontres avec le texte en création, à l’interstice de la conscience et des mots, où la lucidité vacille, se cherche — c’est le plus difficile, le plus intime, le plus imprécis, le plus exigeant.  C’est une tout autre aventure, et c’est cet hiatus que je voudrais combler, narrer, partager.  Possible hors du poème ?

8.  Le texte est un outil de connaissance de soi.  C’est par cela qu’il vaut, comme la musique.  Non une connaissance qui s’en tiendrait à une lucidité utilitaire, comme le voudraient la caractérologie ou les examens de conscience traditionnels — chercher ses failles, ses qualités, ses défauts…  Une véritable connaissance de soi, comme la voulait ce Grec, Socrate.  Une interrogation sur sa nature profonde, son appartenance au règne hominal : — Qu’est-ce un être pensant, à volonté plus ou moins libre et qui réfléchit ?  — Qu’est-ce un être conscient de sa mort et qui se veut immortel ?  — Qu’est cette conscience, ce mental, qui suscite les questions et accorde des réponses qui se réverbèrent en abîme, jusqu’à l’infini ?  Quelles sont les sources de l’angoisse, du manque, du sentiment d’incomplétude ?

9.  Le mot texte : du latin textus, tissu.  On peut en faire un voile, dont la fonction sera d’occulter.  Une tapisserie qui remémore et narre.  Ou encore une voile de navire, à faseillement de voyage et d’espoir.

10.  Il est dans la nature d’un poème de nager en marge du texte.  Il vaut par son appartenance à la marge.  Ne lui conviennent ni la grève ni l’abîme.

11. Notre langue d’ici, rocailleuse, hachurée et chuintante parfois.  Trop pleine d’eau et de glaise.  C’est pourtant de cette eau et de cette glaise que doit naître le texte, que doit surgir le chant.

[12.  La seule façon de donner cohérence, un semblant de limpidité à ses rencontres avec le texte,  c’est la reconnaissance de Dieu, de la transcendance en soi, au plus intime.  Pas un de ces démons criminels, demi-fous et foudres de guerre qui hante plusieurs textes sacrés, mais le Dieu du silence, celui de la fidélité quiète à sa créature.  Celui qui rehausse, synthétise, résume accorde sens à l’esthétique — et à son éthique.]

(Chants d’août, Éd. Triptyque)

Notice biographique

Auteur prolifique, d’une forte originalité thématique et formelle, Alain Gagnon, ce marginal de nos lettres, a publié, à l’hiver 2011, Le bal des dieux, son trente-septième ouvrage. À deux reprises, il a remporté le Prix fiction-roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, soit en 1996 et en 1998, pour ses romans Sud et Thomas K. Il a également remporté, à quatre reprises, le Prix poésie du même Salon : en 2004, pour son recueil de poèmes Ces oiseaux de mémoire, en 2006, pour L’espace de la musique, en 2009, pour Les versets du pluriel et en 2012 pour Chants d’août. En 2011, il avait obtenu le Prix intérêt général pour son essai Propos pour Jacob.  Il a été le président fondateur de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES-CN) et responsable du projet des collectifs Un Lac, un Fjord, 1, 2 et 3. Il déteste la rectitude politique et croit que la seule littérature valable est celle qui bouscule, dérange, modifie les paysages intérieurs – à la fois du créateur et des lecteurs. De novembre 2008  à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé et de directeur littéraire aux Éditions de la Grenouille bleue, une nouvelle maison liée aux Éditions du CRAM, qui se consacrait à la littérature québécoise.  Il continue de créer et gère présentement un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche.  On peut lui écrire directement à : alain.gagnon28@videotron.ca

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


En marge de l’écriture, par Alain Gagnon…

12 juillet 2013

Texte, et magies du texte…

 1. En marge, nous trouvons ce qui est hors de la page attestée.  En frange.  À la périphérie.  Blanc du pourtour.  Espace de frontière, où l’on gribouille parfois, où l’on annote — glose.  Ce qui n’appartient pas en vrai au texte, ni à l’ouvrage, mais s’ouvre aux notules anarchiques.  Ce qui est isolé, épargné par ce mouvement compulsif des yeux, de gauche à droite.  Ce qui promet d’autres récits, d’autres aires où s’ébaudiront les mots.  Où loge ce qui est réflexions sur, pensées sur.

Périphérie où s’élabore l’impossible à dire ou ce que l’on dira demain.

2. Écrire : se prolonger, donner une extension à sa voix.  Espoir de parler au-delà des déserts à tous ces proches sans visage et lointains.  Chaque jour rallumer le feu de la solidarité non sectaire, celle qui singulièrement s’évase au-dessous et au-dessus des mots.  Tenter de se reconnaître et de reconnaître les autres absents.

3. Comme moyen de création, d’expression, le texte suffit.  Il ne suffit pas à la finalité de l’écriture, mais comme outil, il suffit.  Déposons nos opinions, nos appétences humanitaires, nos bons sentiments, nos intentions, nos plans, nos drapeaux, nos engagements à la porte de l’officine : le texte ira cueillir tout ça, de par son propre dynamisme — il ira chercher mieux que tout ça, tout ça en mieux.

4. La question la plus fréquente lors de rencontres où l’on a velléité d’écriture : Parfois j’ai de bonnes idées.  Il me semble détenir les matériaux pour écrire de grandes choses, de sacrées bonnes histoires… Tout est là, dans ma tête !  Je m’assois, ouvre l’ordi, puis plus rien.   Rien ne se passe.  Le vide !  Pourquoi ? Et voilà, c’est le problème : la richesse.  On se présente embourbé de préjugés, de désirs et d’opinions – même les mieux fondées.  On est trop riche.  L’espace n’appartient plus au texte, il ne peut respirer.  Il étouffe mort-né.  Qu’on le laisse vivre, le texte !  Il en sait plus que soi.

(Chants d’août, Éd. Triptyque)

Notice biographique

Auteur prolifique, d’une forte originalité thématique et formelle, Alain Gagnon, ce marginal de nos lettres, a publié, à l’hiver 2011, Le bal des dieux, son trente-septième ouvrage. À deux reprises, il a remporté le Prix fiction-roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, soit en 1996 et en 1998, pour ses romans Sud et Thomas K. Il a également remporté, à quatre reprises, le Prix poésie du même Salon : en 2004, pour son recueil de poèmes Ces oiseaux de mémoire, en 2006, pour L’espace de la musique, en 2009, pour Les versets du pluriel et en 2012 pour Chants d’août. En 2011, il avait obtenu le Prix intérêt général pour son essai Propos pour Jacob.  Il a été le président fondateur de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES-CN) et responsable du projet des collectifs Un Lac, un Fjord, 1, 2 et 3. Il déteste la rectitude politique et croit que la seule littérature valable est celle qui bouscule, dérange, modifie les paysages intérieurs – à la fois du créateur et des lecteurs. De novembre 2008  à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé et de directeur littéraire aux Éditions de la Grenouille bleue, une nouvelle maison liée aux Éditions du CRAM, qui se consacrait à la littérature québécoise.  Il continue de créer et gère présentement un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche.  On peut lui écrire directement à : alain.gagnon28@videotron.ca

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Dires et redires, par Alain Gagnon…

7 octobre 2012

Miles Davis et le laisser-écrire…

Voilà ce que je répète [aux écrivains en devenir] : « Vous souhaitez écrire et ne savez par où commencer ?  Écrivez le premier mot, la première phrase : pour le reste, le texte s’autogérera adéquatement, si vous êtes honnêtes.  C’est-à-dire si vous ne le forcez à confesser des états d’âme ou des idéaux que vous souhaiteriez bien avoir et manifester. »

(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)

*

Miles Davis m’est d’un grand secours pour expliquer la notion d’inspiration et la nécessité pour un artiste de développer sa propre langue, sa propre musique. Davis joue les classiques du jazz (Porgy and Bess, Caravan…), mais une fois qu’on l’a entendu, on ne peut plus s’y tromper : il s’agit bien de Miles Davis, pas de Chet Baker ni de Louis Armstrong. Il joue de la trompette comme personne n’en a joué avant lui, il donne à la mélodie une couleur, une sonorité, une langueur – une autorité ! –, qui n’appartiennent qu’à lui.

(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)

*

 

Le laisser-écrire — Depuis trois ans, je m’acharnais à un recueil de poèmes que je n’arrivais pas à conclure. Je m’y acharnais, car la substance me plaisait – plus encore !  : elle me convenait. J’y mettais trop d’efforts. Je m’efforçais de pousser ce nouveau matériel dans des formes empruntées à certains de mes ouvrages qui m’avaient apporté de la satisfaction. Bref, l’histoire des vieilles outres et du vin nouveau. Une citation de Stevenson, reprise par Borges, a provoqué une embellie : « La prose est la forme la plus difficile de la poésie. » Je l’avais lu il y a déjà quelques semaines et n’y portais plus attention, lorsqu’hier matin… Dans la nuit de dimanche à lundi, j’avais très mal dormi. Petit déjeuner au restaurant, puis je revenais paresser et laisser filer le dernier jour de ce congé pascal. Par discipline et monomanie, je me suis assis devant mon ordinateur et ai ouvert le dossier poésie sans aucune attente. Le miracle s’est produit. Le laisser-écrire a pris le dessus et je me suis mis à parcourir mes vers en les abolissant. En les remontant à la ligne supérieure, le curseur les transformait peu à peu en prose…  Et, bon dieu ! ça se tenait ! La ponctuation française suffisait à créer et à maintenir la musique !

Heureuse fatigue qui exige le repos de la raison raisonnante et laisse le champ libre à l’inspiration. Laisser l’Esprit souffler, édifier lui-même ses propres formes pour y étendre sa substance…

De là à déclarer le vers libre inutile dans son mimétisme de l’anecdote versifiée, il n’y a qu’un pas que je n’hésite pas à franchir.

(Le chien de Dieu, Éd. du CRAM)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

12 septembre 2012

ophagie

Cher Chat,

C’est décidé. Je me retire. Je fais mes adieux. Je pose ma démission. Vous aurez beau me supplier, le Chat, me dire que ma carrière a été de trop courte durée, mon choix est fait. Oui, je sais, je n’ai écrit qu’une malheureuse chronique politique, mais c’est bien assez pour en tirer les conclusions qui d’ailleurs s’imposent d’elles-mêmes : 3 .

Le même jour, sur le même fil d’actualité, le « Vous allez être trop jalouses, les fiiiilles,  je me suis trouvée un p’tit kit Zara topissiiiiime dégriffé chez Winners » de mon amie Véronique, a dépassé sans conteste mon habituelle côte de popularité avec : 54  .

Entre moi, webmilitante et la LOLita, 51 clics ! Y’a pas photoshop. J’ai le cybermat en berne. Je ne peux que retourner à mes chroniques en robe légère. Car il faut se rendre à l’évidence, ce n’est pas parce que je pense sur Facebook que je suis. Descartes peut aller se rhabiller. Ce qui importe n’est pas ce que nous partageons, mais bien le regard que portent les autres sur nous. Tu me  , donc je suis.

Désormais objets de convoitise mondiale, 2,7 milliards de  sont consommés par jour. On se met à multiplier ses statuts pour avoir son lot quotidien de déclarations d’amour. Et voila, c’est ainsi que vous devenez facebookolique.

On peut alors se demander si le secret de longévité de ces réseaux sociaux ne tient pas tout entier dans ce ?  L’homo internetus s’allongerait-il sur la toile pour épancher sa soif d’amour ? www.oh ! faudrait pas me prendre pour une émoticonne quand même ! Franchement, le Chat, le monde n’est vraiment pas net ! Il ne semble pas douter un seul instant, ni de la véracité de cet amour en ligne, ni de l’identité parfois discutable de ce «J’».

Car, en effet, savez-vous, le Chat, que vous pouvez avoir recours à l’agence de marketing Boostic pour augmenter votre nombre d’amis ? Cette agence, et ce n’est pas la seule, vous garantit de vrais fans et une amélioration immédiate de votre image de marque en vous proposant 1000  pour la modique somme de 100 euros.

Sans blog, j’en ai l’interface toute pixélisée ! Mais il faut que je me ressaisisse en haute vitesse, sinon ce qu’il me reste d’amis finira pas lâcher un : On la vire-tu-elle ?

Alors, mon cher Chat, je fais quoi, moi, pour soigner ma e-réputation ? Je me  ? Après tout, il se peut que j’ai l’autosatisfaction contagieuse, le viral. Tout se propage tellement rapidement à l’ère du Web 2.0.

Et si l’exaltation narcissique ne fonctionnait pas, il me resterait le choix de créer un compte pour Sandrine, mon poisson rouge. LOL. MDR. .

Sophie, ophile malgré tout.

(NDLR : Sophie Torris ne s’évalue pas à l’aide du bon instrument ou elle donne dans la fausse modestie.  Le nombre de visiteurs qu’attirent ses chroniques ferait l’envie de beaucoup de chroniqueurs de par la vaste Toile. AG)

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.


Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

10 septembre 2012

 

Muse d’un soir…

Dans un petit atelier de la rue Edgar Poe, une page vierge dévisage le corps figé d’un présumé Louis. Voilà déjà plusieurs heures qu’il pointe une plume en sa direction, sans jamais y perdre la moindre larme d’encre. Et elle lui fait peur, cette plume. Toutes celles qui, par le passé, ont effleuré sa griffe, n’en sont jamais revenues. Alors, en cet amas de feuilles encore vierges, des rumeurs courent. Certaines racontent qu’à son seul contact, on embrasserait la jouissance extrême, l’orgasme ultime. D’autres implorent de la fuir comme la peste, celle-ci ne mènerait qu’au tombeau. Et voilà qu’aujourd’hui, il l’avait choisie, elle. Alors elle tremble à s’en froisser, et ne le lâche pas du regard.

Bordel, voilà des heures qu’il est là, à gésir devant cette page blanche. Les mots s’enchevêtrant dans sa tête, ondulant en tous sens, sans jamais en jaillir. Et il a beau savoir, Louis, qu’à chaque fois c’est la même chose, le même scénario qui se répète inlassablement, ça bouillonne à l’intérieur de cette dépouille paralysée. Et puis, toujours ces doutes qui l’assaillent soudain. Et si je n’arrivais plus à écrire ? Et si je n’avais jamais su, en réalité ? Peut-être qu’ils se trompent, tous, et qu’ils découvriront demain que je ne suis qu’un never been aux doigts engourdis. Peut-être que… Et puis, il reconsidère cette vie chamarrée d’aujourd’hui qu’il n’a jamais fait qu’attendre, et ses doutes s’estompent.

Louis était devenu, depuis quelques mois, un écrivain à la mode. Ses romans d’horreur passionnaient des milliers de lecteurs fanatiques dans le pays. Les journalistes étaient à l’affût du moindre mot échappé de ce mystérieux prince des limbes qui mêlait avec virtuosité rêve et réalité. Malgré sa pudeur, il avait accordé deux ou trois interviews à ces rapaces insistants. Et il s’amusait de ce brouhaha d’un monde détraqué, en jouant avec les mots et les métaphores avec adresse. Et lorsqu’ils lui posaient cette perpétuelle question « Mais où trouvez-vous toutes ces idées ? », il répondait, presque machinalement, que l’inspiration naissait dans le creux des reins de ses muses d’un soir.

– Vos « muses d’un soir », qui sont-elles ?

– Les passantes de ma vie, dont chaque pas transperce mon ardeur.

– Et existent-elles réellement, ces passantes-là ?

– Elles n’existent plus au moment où je pose le point final. Je les tue.

Et, ils riaient. Les journalistes d’un rire démesuré, Louis d’un rire ajusté. Et la foule, autour, riait aussi.

Ce soir, il l’avait effleurée à la terrasse d’un café, sa muse d’un soir. Sous une chevelure ébène, deux yeux océan accrochaient les lignes d’un livre. Ce livre, c’était son dernier roman. Il s’était alors assis à ses côtés, engageant la conversation avec cette douceur qui le caractérisait. Ils avaient échangé quelques mots, sur lui, sur elle, et avaient regagné son petit atelier de la rue Edgar Poe, ensemble.

Sa muse, pour l’heure, semble s’être perdue en un coma vaporeux, et, à cet instant, ses reins ne disent rien du tout. Et puis, en un sursaut, elle quitte son éden éphémère pour rejoindre ce prince des enfers. Louis esquisse un sourire. Il s’avance vers elle, d’un pas lent, presque décomposé. Elle tremble, comme cette page encore vierge oubliée sur le bureau. Elle le distingue précisément celui qui, à présent, se penche sur son corps dépouillé, mais elle ne peut ni hurler, ni bouger. Marionnette de ce bourreau d’un soir. Il parcourt de ses doigts ses courbes exhibées, comme pour en détacher les premiers mots qui noirciront sa page blanche l’instant d’après. Ses pupilles se dilatent au fur et à mesure qu’il explore l’intimité de son pantin aliéné, au fur et à mesure qu’il distingue son visage se crisper confidentiellement. Dans sa tête, les mots s’emmêlent en un tango endiablé. Il la pénètre. Les mots jaillissent. La plume érafle la feuille jadis vierge. L’encre se répand. En ses veines, sur sa feuille, en sa muse d’un soir. Derrière les derniers soubresauts d’un instant fantasmagorique, un roman naît.

La feuille à présent couverte d’encre ébène, la muse abandonne ses derniers espoirs. En ce chaos nocturne, Louis vogue dans les sentiers d’une réalité évanescente, le regard écarlate. Les rumeurs ne s’étaient pas trompées. De cette jouissance extrême, de cet orgasme ultime, ni la feuille ni la muse n’en sortiront indemnes. Au petit jour, toutes deux rejoindront clandestinement l’implacable tombeau.


Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.

C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.

Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie :http://blogmaestitia.xawaxx.org/


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