Alain Gagnon : Sud : une critique de Réginald Martel…

Un immense roman, par Réginald Martel, La Presse

Réunissez à Atlanta une prostituée du Sud, un milliardaire yankee et un chauffeur de taxi montréalais ; vous aurez là une improbable rencontre.  La première est d’une terrifiante beauté, le deuxième est torturé par une vague culpabilité, le troisième supporte assez bien un crime ancien.  En créant ce trio, M. Alain Gagnon a enfin trouvé son écriture.  Jamais, dans ce que j’ai lu de lui depuis 25 ans (plusieurs de ses dix-neuf titres), il n’était allé au-delà d’histoires convenues, écrites dans le dénuement stylistique le plus total.

Voici enfin, et il valait la peine d’attendre, un bon livre, un beau livre, un grand livre.

N’y cherchons pas le héros, il n’y en a pas.  Que des personnages réunis par le hasard d’abord, puis par la passion de Bo le richissime industriel, pour Temple, la hautaine et distante prostituée de la sinistre banlieue. Job, le Québécois, est le chauffeur, le confident, le factotum, l’ami un peu de Bo, de Temple aussi.  C’est à lui que nous devons, dans la fiction, le choix du décor.  Un décor ?  Plus que cela : un personnage.  Job a découvert le Sud des États-Unis dans un roman oublié sur la banquette de sa voiture-taxi ; ensuite, il a lu tous les auteurs américains qui ont écrit sur le Sud ; enfin, il a décidé d’émigrer avec sa femme à Atlanta.

Non pas la ville de Delta Air Lines, des Braves ou de Coca-Cola ; une autre ville, deux plutôt, celle des quartiers chics où Bo mène une vie (trop) tranquille auprès de sa femme et de leurs beaux enfants, et la banlieue sèche et rabougrie où Temple reçoit ses clients.  Plus encore, Atlanta est le lieu symbolique d’une rupture historique, que rien ne saura réparer, entre le monde du Sud, espace de violence, de passion, de mysticisme et de chaleur, monde intégré, complet en soi, et le monde du Nord, violent mais d’une autre manière, matérialiste, égoïste et froid.  M. Gagnon ne maudit pas le Nord, par pitié sans doute, satisfait de célébrer les sortilèges du Sud.

Surtout, ne pas résumer Sud.  Dire seulement que la prose splendide de M. Gagnon emporte tout, qu’il s’agisse des excès du désir et de leur résolution dans l’amour, de la maladie qui annonce la mort — elle est là, elle attend, tapie dans les humeurs de Bo, Temple s’y précipite, il est fou, n’t aura-t-il donc jamais de salut pour les âmes torturées ?  Je dis : amour, mais c’est plus que cela.  Une projection délirante dans le passé et l’avenir à la fois, une quête éperdue de ce temps mythique où les humains n’étaient pas étrangers à leur propre existence,  mais fichés en plein cœur d’eux-mêmes.  Ils se sont depuis oubliés, cela revient dans les mots et les pensées de ces personnages qui n’en font qu’un finalement, ils se sont égarés et ils ne connaissent pas la couleur des chimères qui ouvriraient, peut-être, quelque chose qui ressemblerait à un avenir.

La Sûreté du Québec a refroidi le rêve sudiste de Job, il est en prison dans son Québec glacial.  Et Bo, et Temple ?  Les voici tendrement réunis dans leur absence l’un à l’autre ; Bo errant sur les plages de la côte californienne, fou de malheur, fou de bonheur, Temple fidèlement ancrée dans son Sud natal, son Sud total, réunis, oui, par lettres seulement, mais atteignent-elles leurs destinataires ? réunis plus qu’il est raisonnable, même en rêve, et il ne leur est plus utile vraiment de s’embrasser, car ils s’habitent.

Sud est un immense roman.

Sud, Alain Gagnon, Pleine Lune, 1995.

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