À l’aune de la beauté du monde… un texte de Pierre Raphaël Pelletier

22 juin 2017

À l’aune de la beauté du monde…

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Après cinq heures d’écriture, mes yeux fatiguent trop pour que je puisse continuer. J’enlève mes lunettes, les nettoie, les remets avec soin dans leur étui. Je ferme les yeux et me masse tranquillement les paupières. Bien soulagé, j’ouvre à nouveau les yeux. Pas possible de continuer à plancher. Le récit trépigne de colère. Il menace de tout saboter. Sévèrement, je lui rétorque que j’obéis à mes règles. « Tes petits codes de conduite, lui dis-je, émasculent mes phrases. Résultat, elles n’ont plus la force de sauter la clôture. Écoute-moi bien, mon ami le récit. Cesse de regimber comme un enfant gâté. Tu vis sur du temps emprunté. Le mien. Et avec mon temps, j’écris le récit que je veux. »
Entre au café Archimède un homme de haute stature au teint foncé, une toison noire sous un gros nez. Il se dirige au comptoir, commande une soupe et s’assoit à une table voisine. Me monte aux narines une odeur agréable d’un mélange de patates et poireaux. Je le guigne. Son visage a quelque chose de familier. Poussé par la curiosité, je n’hésite pas à lui demander si on ne s’est pas déjà vus quelque part au marché. « You tink so ? » me dit-il avec un regard amusé. « Oui, je le crois. » Je lui demande en anglais si je peux lui poser une autre question.
— Pas una problema.
— Ah oui, ça me revient ! Je vous ai vu la fin de semaine dernière. Vous parliez avec François sur la rue William.
— Si. Yé parle souvent avec Franky.
— Vous êtes Chilien ?
— Si.
— Ah ! Vous vous appelez Ruiz !
— Si. Yé mé nomme Ruiz.
— François me dit aussi que vous êtes arrivé au Canada après la chute d’Allende.
— Si. I was professor of philosophy at the time.
Me fixant de ses yeux fuligineux, il me dit :
— Did you know that the presidential palace was destroyed by USA planes ?
— Non, je savais pas. Par contre, je sais que ce coup d’État contre le gouvernement marxiste, élu démocratiquement, a été financé par le gouvernement américain. C’est Kissinger qui en était l’artisan, ce criminel nobélisé.
— Pinochet era su general.
— Alors vous me disiez être professeur de philosophie ?
— Si y’enseignais à la Universidad Nacional de Santiago. Los militaros y son venus à la universidad una semana après lé coup. Él m’ont fait venir à la dean’s office. Los militaros dice qué yé pouvais enseigner mais qué ellos dirigent l’université. Yé leur ai dit qué yé suis marxiste y qué y’acceptais d’enseigner à une seule condition, si c’est moi qui dirigerais l’armée. Le colonel ma demandé si y’avais fait mon service militar. Yé repondu no. Él m’a dice qué si y’avais répondu yes, yé été un traître à la patria et él mé tiré dans la cabeza. Yé eu dos años.
— Comment ça a été en prison ?
— Yé mé fait battre and tree times they staged my execution. Los militaros pensaient que y’étais fou. Après ça, yé pas été torturé. Un jour, y son venus me prendre à cinco horas de la mañana. Yé pensé qué vont mé tuer in the jail yard. Le colonel mé dice qué y’avais vingt-quatre horas to gather all my things and then they would put me on a military plane and send me to Canada. They told me I would die there because I had no food and o coat and that there, in Canada, were only penguins and that it was so cold, no human could live there.
[…]

photo : Alex Ugalek

À l’aune de la beauté du monde, nous ne pouvons tricher. Nous sommes humains ou nous ne le sommes pas. À l’aune de la misère, y voyons-nous plus clair ? La cour de la maison de fer blanc sise entre Murray et Clarence est un lieu qui nous sort carrément du hourvari du marché et des rues adjacentes.
En semaine, broutille et pinaillage à l’écart, cette cour se mue en une paisible clairière dans une forêt d’érables qui tamisent la lumière qu’abandonnent si facilement les hommes sur leur passage. Je m’agenouille près du ruisseau, me rafraîchis le museau. L’eau pure coule en moi comme un élixir de jouvence. Je me relève, je prends une bonne bouffée d’air. Se déploient en moi les forces de l’univers, heureux de croire que l’eau et l’air dont dispose ma chair, d’une absolue nécessité comme ressources premières, sont protégés par toutes les nations.

(Extraits de : Pierre Raphaël Pelletier, Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés, Éditions David, 2012.)

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À la fois poète, romancier, essayiste et artiste visuel,Pierre Raphaël Pelletier a publié une vingtaine de livres touchant différents genres et réalisé plus d’une trentaine d’expositions (solos ou en groupe) de sculptures, de peintures ou de dessins. Il s’est aussi fait connaître par son implication dans un éventail d’organismes artistiques et culturels de la Francophonie canadienne comme l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français, dont il est l’un des membres fondateurs.

Vers la fin des années 1970, Pierre Raphaël, après une maîtrise en philosophie, tient diverses chroniques sur les arts visuels à la radio de Radio-Canada et pour le journal Le Droit. Entre 1977 et 1982, il est responsable des secteurs de l’animation culturelle et du Centre des femmes et Étudiant-e-s étrangers-ères de l’Université d’Ottawa. C’est à partir de cette époque qu’il réalise plusieurs études et recherches sur la situation des arts et de la culture en Ontario, notamment Étude sur les arts visuels en Ontario français (1976) et Étude des centres culturels en Ontario (1979). Jusqu’à la fin des années 1990, il aura aussi écrit des articles parus dans des revues, comme Le Sabord, Éducation et francophonie et Liaison.

Parmi ses publications, notons le recueil de poésie L’œil de la lumière(L’Interligne, 2007) pour lequel il remporte, en 2008, le Prix Trillium, le roman Il faut crier l’injure (Le Nordir, 1998), qui lui permet de gagner le Prix Christine-Dumitriu-Van-Saanen et le Prix du livre d’Ottawa-Carleton en 1999. Il est également l’auteur du récit Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés (David, 2012) et de l’essai Pour une culture de l’injure (Le Nordir, 1999) écrit en collaboration avec Herménégilde Chiasson. (Éd. David)

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État islamique, idéal et beauté… un texte d’Alain Gagnon

12 novembre 2016

État islamique, idéal et beauté

 

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Mortiz Aust

L’État islamique et les jeunes — On s’interroge beaucoup sur les motivations de ces jeunes Occidentaux qui adhèrent à la frange extrémiste de l’Islam. On fait des tables rondes, on monte des commissions, on se paye de mots… et beaucoup d’intellectuels et de plumitifs profitent de ce sujet chaud pour requinquer une notoriété défaillante.

La réponse est pourtant simple. La jeunesse a besoin d’idéal, a soif d’idéal. À l’Ouest, le Parti communiste s’est embourgeoisé et il n’intéresse que peu de jeunes ; l’hitlérisme et autres fascismes sont morts – du moins dans leurs formes des années 30 et 40 ; les grandes causes humanitaires et environnementalistes ont déçu, sont trop imprécises, entachées de politiques et d’intérêts discutables, et n’ont pas de leaders très charismatiques… Nos religions, n’en parlons plus ; elles sont devenues des parkings temporaires où l’on se rassemble pour les naissances, morts et mariages.
Qu’avons-nous à offrir à la jeunesse ?

Des modèles intellectuels et sociaux mous, des idéaux à court terme – ton char, ta paye, tes gadgets, tes vêtements griffés – qui ne répondent en rien aux exigences d’une conscience le moindrement éveillée, si celle-ci s’interroge sérieusement sur les raisons et les comment de l’existence : Pourquoi suis-je moi et pas un autre ? Qu’est-ce que je fais de cette vie ? Où je m’en vais ? Pourquoi la souffrance et la mort ?

On dit que la Nature a horreur du vide ; il en est de même de l’Esprit. En ce moment, l’EI est là avec ses réponses toutes faites. Demain, ce seront d’autres totalitarismes fous qui offriront leurs réponses, leurs sens.
L’humain est un être de sens. Il ne peut vivre sans sens. Et il le cherchera n’importe où dans une société qui nie toute transcendance.

Parfums d’automne et beauté — Je ne suis pas connaisseur en parfums, et je me demande si  alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, québecun parfumeur a réussi à rendre toutes ces odeurs que la saison offre, surtout dans les sous-bois. Feuilles humides et pourrissantes, champignons, terres noires des baissières, et toutes ces fleurs qui exhalent avant leur destruction par les froids ou le manque de lumière.

Par un étrange cheminement, ces arômes me poussent à réfléchir au beau, à la beauté du monde.
Me reviennent quelques citations de François Cheng (a) sur la beauté, que je vous livre :

« L’univers n’est pas obligé d’être beau, et pourtant il est beau. À la lumière de cette constatation, la beauté du monde, en dépit des calamités, nous apparaît également comme une énigme. »

« Est vraie beauté celle qui relève de l’Être, qui se meut dans le sens de la vie ouverte. La beauté du diable, elle, fondée sur la tromperie, jouant le jeu de la destruction et de la mort, est la laideur même. »

« C’est dans la mesure où le yi (b), dans une œuvre particulière, atteint son plus haut degré, jusqu’à résonner en harmonie avec le yi universel, que cette œuvre acquiert sa valeur de plénitude. »

« Le désir de dire se confond avec le désir de beauté.
La vraie beauté est celle qui va dans le sens de la Voie, étant entendu que la Voie n’est autre que l’irrésistible marche vers la vie ouverte, autrement dit un principe de vie qui maintient ouvertes toutes ses promesses. »

a) Cinq méditations sur la beauté
b) Yi : Dynamisme cosmique conscient de création et d’entretien de la vie de tout ordre dans le Cosmos.

L’auteur

Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du Livrealain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose ont ensuite paru chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004), Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013). Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011). En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010). Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont KassauanChronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (MBNE) ; récemment il publiait un essai, Fantômes d’étoiles, chez ce même éditeur. On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL. De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue. Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com).

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La magie des mots, par Francesca Tremblay…

3 avril 2015

Avant de n’être que cendres

Il y a de ces mondes turbulents qui nous entourent.chat qui louche maykan alain gagnon francophonie

Tandis que les fresques du ciel s’émiettent, tes bras forment autour de mon corps un refuge inespéré.  Les ciels malheureux ont un goût de poussière.  Un goût de cendre noire couchée sur les lacs qui bordent les feux de brousse.

Il y a de ces amours que l’on ne rencontre qu’une seule fois et qui nous bénissent de cette eau que versent les yeux quand la joie les réchauffe.  On s’imagine alors devenir quelqu’un de meilleur.  Un regard qui nous pousse à nous élever.  Qui nous pousse à faire de nos choix des réponses pour l’avenir.  Une voix à laquelle s’accrocher.  Un silence dans lequel on rêve.  Dans lequel on rêve à deux. Il y a cette personne que tu es.  Qui chérit la femme que je suis.  Qui la protège et l’aime au-delà de sa propre vie ?  Et qui la connaît bien plus qu’elle ne se connaîtra jamais.  Parce qu’elle ne voit pas comme ton cœur a vu tout ce qui se cache au fond de ses propres pupilles.

Tes mains sur mes hanches et c’est tout mon monde qui bascule.  S’effondrent les assises et les boucliers que j’avais érigés.

Et si c’était nous qui avions raison ?  Qui savions réellement ce que c’est que le bonheur ?  Nous dessinons de nos amours, de nouvelles teintes que les yeux ne peuvent percevoir.  Des couleurs trop vives pour ceux perdus dans le noir qu’ils broient comme des mortiers acharnés.  Et lorsque la pluie ruisselle, les feuilles des arbres sous lesquels nous faisons l’amour sont tachées des arcs-en-ciel qui glissent sur leur derme lustré.  Et qui tombent sur nos corps étreints.

À trop nous aimer, nous nous faisons des ennemis.  Des regards lourds de mépris scrutent le moindre de nos baisers.  Envient la moindre de nos caresses.  Et mon corps répond à tes souffles chauds.  Toi qui m’emportes comme les grandes marées d’automne qui ensevelissent les dangereux écueils.  Tes mains sur mes hanches et c’est toute ma vie qui balance.

Il y a de ces moments où l’on croit pouvoir changer le monde.  Où l’amour nous rapproche d’un paradis perdu.  Paradis oublié quelque part entre les rôties que l’on graisse au petit-déjeuner et le livre qu’on dépose sur la table de chevet quand les nuits sont blanches.  Et dans ces moments, je prends la voûte qui mène là où les morosités ne sont que des brumes qui se dispersent lorsque le soleil se lève.  C’est plus qu’une question d’attirance.  C’est bien différent de la plupart des relations que j’ai entreprises auparavant.  C’est toi qui sauves une partie de moi.  Celle qui ne croyait plus en l’amour avec un grand « A ».  Qui pensait réellement que les petits « a » amoncelés les uns sur les autres pouvaient en bâtir un grand.

Mais à un certain âge, on se rend compte que se mentir à soi-même, c’est se refuser le droit au bonheur.  Et tout ce qu’on a collectionné jusqu’à présent, ce sont les amours mortelles au goût de cendre.  Un peu comme ces ciels miséreux que j’ai connus et dont j’efface la trace doucement à chaque baiser que tu m’offres.  Je sais aussi que tout meurt et que nous ne serons jamais à l’abri de l’invisible.  Mais avant de n’être que cendres à notre tour, tes mains sur mes hanches, étendus l’un près de l’autre et les yeux dans les yeux, nous sommes si près du bonheur.

Et si c’était nous qui avions raison…

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieEn 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

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Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

9 mars 2015

Y’a des meufs…

Y’a des meufs qui se font tatouer sur le cœur le prénom de mauvais garçons, d’autreschat qui louche maykan alain gagnon francophonie qui chialent en écoutant en boucle un album de Reggiani.  Y’a des meufs qui enfilent leurs bas sans jamais les filer, enveloppent leur peau douce d’une robe en satin, accordent les couleurs sans l’aide d’un diapason, et d’autres qui se prennent pour de mauvais garçons.

La beauté est une garce quand elle se met à péter plus haut que son cul.  Quand face au miroir qui lui dit qu’elle est la plus belle, mais dans lequel elle ne se reconnaît plus, elle me dit de prendre soin de moi dans une langue que je ne comprends pas.  Je suis une faute de goût dans un monde où Photoshop est roi.  Y’a des meufs qui savent si bien maquiller leurs yeux qu’on dirait que le monde y naît pour la première fois, quand d’autres laissent tomber leurs paupières sans prendre la peine de les retenir.  Y’a des meufs qui marchent avec des talons plus hauts que leurs rêves sans jamais avoir l’air ridicules, et d’autres qui agitent leurs orteils dans des baskets sans jamais s’y sentir bien.  Y’a tant de meufs que j’ai haïes d’être plus belles plus à l’aise que moi.  Le long des tapis rouges ou des couloirs de course.  Sur les pistes de danse ou les quais déserts à attendre le dernier métro.  Y’a tant de meufs que j’ai haïes d’être là avant moi avec leur casque d’or, leurs yeux bleus et leurs doigts de fée sous ces draps que je n’ai jamais été la première à défaire.  La fille parfaite est une connasse, et je ne suis pas la dernière.

J’ai arpenté les terrasses pour faire payer à ceux qui faisaient la manche le prix fort de cet amour que tu ne méritais pas.  J’ai brisé le cœur des bons enfants pour tous ces petits jours où les mauvais garçons s’étaient tirés avant l’heure.  Y’a tant de meufs que j’ai haïes de ne pouvoir être un mauvais garçon et leur faire mal comme elles sont belles.  Y’a tant de mauvais garçons dont je me suis fait tatouer le prénom sur le cœur avant de chialer en écoutant en boucle les mots d’un Reggiani, d’un Brel ou d’un mec sur le trottoir dont j’ai oublié le nom et qui n’a jamais fait d’album.  Y’a tant de mauvaises filles, qui montrent leur doigt, leur cul ou leur candeur, que j’ai trouvées vulgaires avant d’apprendre à les aimer.  Comme elles m’ont appris à aimer la féminité — même si c’est tout un art, que l’art est un pays étranger et que j’ai peur en avion.

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieY’a des meufs dont les mains me font oublier une heure ma colère, les mauvais garçons et le pot de Nutella qui n’est jamais assez bien caché.  Quand elles sortent du four des goûters qui sentent la pomme, les accords de guitare et la lumière d’automne, quand elles traduisent avec leurs yeux et leurs éclats de voix mon dedans mieux que mes mots ne le feront jamais.  Y’a des soirs où je me demande si je ne vais pas virer ma cuti, sortir de ce placard où je ne suis jamais entrée.  Le temps d’aimer bien ces meufs que j’ai toujours haïes aussi fort que je chante faux.  La beauté est une sirène quand elle oublie le mascara sur le lavabo et donne un second souffle à la mythologie.  Qu’elle laisse Sisyphe se révolter et Prométhée picoler sur le canapé du salon.  Y’a des meufs qui sentent si bon la farine de châtaigne et la purée d’amande qu’elles n’éprouvent pas le besoin de répandre ce patchouli qui empeste tous les ascenseurs du monde.  Surtout celui qui mène à ton appartement.  Y’a tant de meufs qui me prennent pour un mauvais garçon, qu’elles essuient leur pudeur et leur vanille sur ton paillasson.  Pour que tes draps défaits ne sentent jamais rien d’autre que ta sueur et tes chansons.

Notice biographique

Chat Qui Louche maykan alain gagnon francophonieMyriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.  Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

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Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

17 avril 2014

Une artiste nommée Terre

  La Terre est magnifique ! Grandiose. Des paysages insolites, des couleurs hallucinantes ! Des tableaux sublimes rio-cano-cristales-river-of-five-colours-columbia-6qui nous émeuvent. Les deux pieds sur Terre, nous regardons, avons le cœur chamboulé. La beauté crée du bonheur à l’intérieur. Je l’ai déjà écrit. David Hume a d’ailleurs souligné que « la beauté des choses existe dans l’esprit de celui qui les contemple. » La beauté est personnelle, et connexe au bonheur. L’âme triste ne reconnaît pas le beau, et la beauté souffle de la lumière dans la tristesse.

La Terre est belle donc. Parce qu’elle est diversifiée, nous surprend. Francis Bacon écrivait : « Toute beauté remarquable a quelque bizarrerie dans ses proportions. » C’est en effet par ces « bizarreries » que la Terre nous éblouit. Si vous avez voyagé, vous avez peut-être admiré la Vague aux Coyotes au Vermillon Cliffs National au Colorado. Ou le Grand Orismatic Spring au parc américain de Yellowstone. Ou encore les terres aux sept couleurs de Chamarel sur l’Île Maurice. Des lieux mythiques parmi tant d’autres, des lieux vénérés pour leur beauté. *

Les pieds bien posés au sol, nous nous extasions. Or, il est rare que nous ayons la chance de voir la Planète bleue du ciel. Bien sûr, nous avons à l’esprit la majesté de la Terre aperçue de l’espace. Le bleu des océans, le brun des continents, le blanc des pôles et des sommets nous fascinent, nous intimident. Un malaise nous envahit, nous nous sentons petits.

TchadD’un peu plus près, la Terre se transforme en artiste, crée des tableaux qui n’ont rien à envier aux Picasso et Michel-Ange de ce monde. Des clichés de ces chefs-d’œuvre regorgent sur le site de l’Agence spatiale européenne, des clichés des Envirosat, Kompsat-2 et autres satellites, des clichés qui révèlent ce que nous savions déjà : la Majesté de la Planète bleue.

Une image vaut mille mots. Je vous propose donc les 15 000 mots en images du portail web du Nouvel Observateur dans une sélection de 15 photos des œuvres inédites de cette artiste brillante, trop souvent négligée, ou méprisée : la Terre.

Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/galeries-photos/photo/20131009.OBS0333/grand-format-la-terre-vue-depuis-l-espace.html

 © Jean-Marc Ouellet 2014

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

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Chronique des idées et des livres, par Frédéric Gagnon…

5 février 2014

 L’EXCÉDENT

 

L’art et la morale ont ceci de commun qu’ils seraient inconcevables si la réalité se limitait aux faits bruts.images   La Vénus de Botticelli ne serait, pour un cerveau qui ne comprend que le fait positif, qu’un signe utilitaire ; elle se réduirait à la représentation de la femelle de l’espèce humaine au même titre que la planche d’anatomie ; et s’il devait y reconnaître la divinité latine, l’esprit attaché à la seule factualité n’y trouverait, encore une fois, qu’un signe qui se résout en son utilité, qui serait ici de nous rappeler la vie religieuse d’une époque « primitive » de l’espèce.  Or telle n’est pas notre expérience de la toile.  Tout comme l’esprit positif que j’ai imaginé, nous voyons les mêmes ordres de représentation (celle d’une certaine femme et celle de Vénus), mais l’expérience authentique du tableau excède la reconnaissance de ces données, car elle est celle d’un émerveillement (on pourrait également dire d’un ébranlement) devant la beauté.  De même, devant un choix que nous, nous qualifierions de moral, un être qu’anime seule la raison instrumentale ne chercherait que son profit, alors que notre expérience intérieure montre qu’il en va d’une réalité qui passe notre intérêt, qu’il s’agit d’un choix qui, pour avoir une valeur réellement éthique, doit être ordonné au Bien.  Dans les deux cas, quelque chose excède donc la réalité empirique, et c’est justement ce X, qu’il s’agit ici d’approcher, qui fait de nous des hommes.

            Avant d’aller plus loin dans ces considérations, il est un autre point sur lequel il faudrait s’arrêter : celui de l’importance du langage.  En effet, le choix moral suppose qu’il y ait un débat de l’âme avec elle-même (évidemment, il peut toujours y avoir consultation, dialogue avec un autre, mais en définitive, c’est en l’esprit de celui qui agit que le débat doit se résoudre, sans quoi il n’est plus l’agent d’un choix moral, mais un simple exécutant.)  Or ce débat ne pourrait avoir lieu si l’homme ne possédait comme son bien propre le langage articulé.  En effet, nos actes ne résulteraient alors que de tendances caractérielles plutôt que de l’intention d’agir en accord avec ce que nous percevons comme un bien.  Par ailleurs, l’art, tout art, est langage : il y a toujours un émetteur (par exemple le compositeur ou l’orchestre qui interprète sa symphonie) et un destinataire (l’auditeur dans le cas de la musique).  Or le langage de tous les langages (on pourrait dire leur langue commune) est le langage verbal, ou le langage naturel : lui seul permet l’explication des arts entre eux.  On imagine mal qu’un homme s’exprime sur la correspondance des arts à l’aide de couleurs, par exemple, mais il est possible, jusqu’à un certain point, de traduire l’expérience de la peinture en mots.  En fait, on pourrait dire que le langage naturel est le traducteur universel de toutes les expériences (celui qui rend suprêmement compte de leur caractère intelligible) ; qu’il est le bien le plus intime de l’âme dans son pouvoir d’expression.  C’est pourquoi, dans cette étude, de tous les arts je privilégierai la littérature, si proche et si lointaine.

            Il est une constatation qui pour évidente qu’elle paraisse mérite, me semble-t-il, l’attention : chacun parle, l’illettré comme le plus grand prosateur.  Nous sommes en présence d’un bien commun.  Voilà qui déjà met à part la littérature.  En effet, peu d’hommes peignent, peu jouent du violon ; mais la littérature, elle, prend pour matériau ce qui en fin de compte est le bien de tous.  En ce sens, c’est peut-être l’art le plus démocratique qui soit (surtout si l’on inclut les traditions orales) ; et pourtant elle

Hubert Aquin

Hubert Aquin

demeure en un sens lointaine : peu d’hommes deviennent écrivains, encore moins de très grands écrivains, et même le fait d’être bon lecteur n’est pas à la portée de tous.  La littérature est donc véritablement proche et lointaine ; on pourrait dire que tout se joue dans un certain excédent de sens qu’il faut être capable d’apprécier.  Ainsi, on trouve dans Neige noire d’Hubert Aquin cette phrase admirable : « Le temps est une vierge enceinte. »  L’esprit que j’évoquais plus haut, sensible aux seuls faits positifs, n’y verrait sans doute qu’un paradoxe ; il nous dirait qu’on est l’un ou l’autre, vierge ou enceinte, mais jamais les deux à la fois.  Et pourtant nous percevons dans cet énoncé plus de contenu qu’en une explication que l’on voudrait claire, nettoyée de tous tropes, sur la nature du temps.  La traduction de la phrase du romancier québécois en termes purement logiques donnerait à peu près ceci : « Bien que tout naisse dans le temps, le temps demeure égal à lui-même ».  Ce serait là un grave appauvrissement : l’énoncé d’Aquin, lui, en plus de son contenu logiquement analysable, transmet, par son caractère poétique, un nombre incalculable de contenus (ou pour mieux dire, un nombre de contenus toujours à la mesure de la sensibilité du lecteur) dont les plus évidents sont ceux de pureté (« vierge ») et de puissance génésique (« enceinte »).  Il y a donc là excédent : l’énoncé poétique excéderait son contenu conceptuel le plus manifeste.  De plus, il faut noter que nous sommes en présence d’un oxymoron qui montre que l’intelligence a cette capacité d’appréhender, au-delà de ses expériences fragmentaires et contradictoires, la totalité où les termes contraires se révèlent dans leur complémentarité.  L’oxymoron, pourrait-on dire, témoigne de la possibilité, pour l’esprit, de déborder les données immédiates de l’expérience.

            La littérature nous met donc en présence de la vraie puissance du langage ; elle excède de loin la traduction d’un ordre de faits en termes univoques, et c’est sans doute l’une des raisons qui en fit une des grandes éducatrices du genre humain, car notre vie d’homme est d’abord et avant tout définie par des choix moraux qui eux-mêmes ne sont possibles que si l’on conçoit la personne comme réalité qui dépasse (et donc excède) l’ensemble des faits empiriques qui nous constituent.

Frédéric Gagnon

Notice biographique

Frédéric Gagnon a vécu dans plusieurs villes canadiennes, dont Montréal, Kingston et Chicoutimi.  Il habite aujourd’hui Québec.  Il a étudié, entre autres, la philosophie et la littérature.  À ce jour, il a publié trois ouvrages, dont Nirvana Blues, paru, à l’automne 2009, aux Éditions de la Grenouille Bleue.  Lire et écrire sont ses activités préférées, mais il apprécie également la bonne compagnie et la bonne musique.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https ://maykan2.wordpress.com/)

 


Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

24 octobre 2012

Miroir, ô miroir…

Cher Chat,

J’ai toujours roulé en citrouille, même avant que les douze coups de minuit ne retentissent.  C’est à croire que ma bonne fée marraine n’a d’intérêts chez aucun concessionnaire.  Oh, je ne m’en plains pas, le Chat, car je ne suis pas vraiment une fille de carrosse.  En effet, étant assez rebelle aux bois dormants, je suis plutôt botte de sept lieux que pantoufle de vair, plutôt souillon que princesse.  Ce qui n’a pas empêché mon charmant de m’embrasser, quoique sur le tard, bien après que j’aie vue le loup et de m’emmener dans son royaume de fort, fort lointain où nous vécûmes heureux et eûmes beaucoup d’enfants.

Tout ça pour vous dire, le Chat, que ce n’est pas en se piquant d’être tirée à quatre fuseaux qu’on vit forcément les plus beaux contes à dormir debout.  Comprenez par cela que Catherine Deneuve ne se cache pas sous ma peau d’âne et que ma belle-mère est bel et bien toujours, de toutes, la plus belle du royaume.

Ceci dit, je ne peux pas dire que j’ai été complètement lésée à la naissance.  Ma bonne fée a quand même fait d’une baguette deux sorts, puisque penchée sur mon berceau, elle m’a donné un peu d’esprit et un peu d’humour.  Je ne suis donc ni la Belle ni la Bête.  Mais je ne suis pas à plaindre, car si j’ai la cucurbitacée bien équipée, certaines, elles, n’ont rien dans la citrouille.

Et vous, mon Minet, êtes-vous un Chat Beauté ?  Vous avez de belles moustaches certes, mais j’ai bien peur que votre strabisme ne vous disqualifie.  Et pourtant, n’est-ce pas ce qui fait votre charme ?  Alors peut-on être charmant sans être beau ?  Et inversement, peut-on être beau sans être charmant ?  En d’autres mots, pensez-vous qu’on puisse tirer la chevillette sans soigner sa bobinette ?

Tout d’abord, le problème avec la bobinette, c’est que tôt ou tard elle cherra.  En effet, la beauté, si elle est un nain-portant atout (et vous me pardonnerez mon nain-décrottable penchant pour cette métaphore florale multiplagiée), finit toujours par se faner.  Périmée, la belle ne se verra plus offrir de fleurs par un nain-connu et se trouvera donc fort dépourvue quand la bise sera venue.  Or, si la beauté passe, le charme reste et jouit de sa revanche en ne prenant aucune ride.  S’il ne flétrit point, c’est tout simplement parce que contrairement à la beauté qui se voit, qui se constate et qui correspond à des critères bien définis par la mode, l’histoire ou l’ethnie, le charme, quant à lui, se sent.  Plus subjectif que la beauté, il est intemporel.

La beauté ne se discute pas, elle s’impose physiquement.  Ce n’est pas sorcier.  Par contre, pour que le charme opère, pour qu’il ensorcèle, il faut prendre son balai par le manche.  Il faut oser.  Oser avec la voix, le geste, l’attitude, le regard, l’humour, l’odeur même.  On ne dit pas : je suis sous la beauté de cette femme.  Non.  On dit : je suis sous le charme de cette femme.  Saoul et charme.  Le charme ne va pas sans cette ivresse, ce sentiment que l’on ressent pour une autre personne.  La beauté n’est qu’une caractéristique physique, le charme est une manière d’être.  Et puis… abracadabra, le charme finit toujours par rendre beau.

Par contre, la beauté ne rend pas toujours charmant.  « Miroir, ô miroir, dis-moi que je suis la plus belle. » N’y a-t-il rien de moins charmant qu’un homme ou une femme trop sûrs de leur beauté ?  Et puis, la perfection n’est-elle pas sans surprise ?  Ne finirait-on pas par s’y habituer ?  Aucun défaut, aucun accro.  Ne manque-t-il pas alors le petit truc qui fait craquer ?

Je suis sûre que vous avez déjà croisé une très belle femme, le Chat.  Je parierai une galette et un petit pot de beurre qu’elle vous a paru inaccessible.  À quoi rime alors la beauté si on n’ose l’accoster ?

Évidemment, il arrive parfois qu’au-dessus de certains berceaux, les fées soient trop généreuses et que l’enfant grandisse en beauté, en sagesse, en humilité, en intelligence et en charme.  Alors, il était une fois l’injustice, et là, j’avoue, cher Chat, que j’aurais envie d’aller cueillir une pomme.

Sophie

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

et « Je valide mon inscription à Paperblog sous le nom d’utilisateur « Chatquilouche » ». http://www.paperblog.fr


Dires et redires…

25 mars 2012

La beauté…

Je visitais un immeuble neuf.  Un édifice à fins éducatives.  Partout   des angles, du béton nu, des murs lisses qu’éclaire chichement la lumière malade des néons.

— C’est laid, je dis.

— C’est fonctionnel ! insista mon hôte.

Est fonctionnel ce qui recherche l’utilité, vise l’utile d’abord.  Soit ! Est fonctionnel ce qui satisfait à coûts raisonnables les besoins humains.

C’est évident, cet immeuble peut protéger du froid, de la grêle et de la pluie, permettre les activités d’enseignement qui ont mené à sa construction… Toutefois, d’autres besoins existent, qui sont d’ordre spirituel.  Dont la soif de beauté, qui n’est pas moins primordiale que l’autre  – même si ses exigences s’expriment avec discrétion.  Cet édifice, cette boîte rectangulaire, n’y répond en rien. (Inédit)

*

Et voici que du fleuve le soleil m’interpelle : — Je suis le soleil, là, qui réchauffe et nourris, tu sais.  Tu m’observes de ta souffrance et tu crois recevoir assistance de ma beauté au crépuscule sur les eaux.  Tu t’appuies sur ma beauté, là, mais ta souffrance demeure.  Je ne suis ni celui que tu interpelles ni celui que ta soif dérivée quête.  Regarde-moi, là, et nomme-moi enfin Soleil, pour passer outre moi, outre mirages et brumes, et trouver remède à ta souffrance, là. (L’espace de la musique)


Dires et redires… par Alain Gagnon…

4 mars 2012

La Beauté (4)…

L’intelligence purement discursive se perd dans les lacis de labyrinthes sans fin et se prend dans les rets de ses propres avancées logiques. La raison permet une utilisation poussée du monde matériel. Elle fournit à l’humain les outils, la technique, les concepts opératoires qui permettent une profitable appréhension du réel sensible. Toutefois, lorsqu’il s’agit de valeurs, de beauté, de sacré, d’éthique supérieure, l’intelligence analytique doit se soumettre à l’intuition supérieure, sinon elle morcelle et détruit tout, vide valeurs et beauté de toute substance. Elle se transforme en « scalpel fou », ainsi que la désigne Alexis Carrel dans son Journal. Rien d’humain ne lui résiste. Aucune valeur, aucune institution, aucun lien naturel entre les êtres. (Le chien de Dieu)

*

Danse éternelle [du Monde].

 Pour les pieds trop lourds, le temps et l’Histoire regorgent de poubelles et dépotoirs. La beauté et l’énergie ne sont jamais insultées : elles sont victoires perpétuelles – malgré les errements tangentiels des nostalgiques, des échinés de l’existence, dont elles se rient et se nourrissent.  (Le chien de Dieu)

*

Le temps se tapit, tel un chancre, en chaque joie, pour lui donner un goût amer. Toute beauté nous jette à la figure : « J’existerai, et tu ne me verras plus. » Quotidiennement, les corps aimés et notre propre corps nous rappellent la décrépitude assurée de la chair. Et nous continuons à respirer en sachant que chaque respiration en est une à déduire de toutes celles que Brahma nous a accordées.  (Le chien de Dieu)

*

Qui va oser me dire ? : – Don Quichotte et Ulysse ne servent à rien ; sont des fantoches pitoyables où se complaisent nos rêves ; des éléments excrémentiels que les songes éveillés abandonnent aux jours gris des oisifs obèses ? Celui-là, je le malmènerai, lui lancerai des pierres, maudirai son nom face à la mer, aux quatre vents. Et je pleurerai sur lui, sur son désespoir raisonnable ; lui, à qui échappe la beauté ambiguë, la beauté triste du monde appelant, en attente de son achèvement.  (Le chien de Dieu)

*

Baudelaire

Comme croyant, je me devrais, selon certains, d’avoir une éthique face aux œuvres. « Vous ne devez pas aimer les œuvres du caniveau… », me faisait-on remarquer. Au contraire. Je crois que la foi amène un surcroît de conscience, une plus grande soif de vérité. Les bluettes, les ouvrages convenus et de bons sentiments m’exaspèrent – je ne les termine pas, même si un ami les a écrits. L’immondice a sa vérité et sa beauté – La charogne de Baudelaire. C’est dans l’infrahumain d’un quotidien magnifié par l’esprit que jaillissent souvent les dynamismes qui confortent la foi – relire La puissance et la gloire de Graham Greene. Les immondices et les bassesses humaines sont moins nocives que les discours réducteurs, jolis et académiquement acidulés des Barthes, Lacan, Derrida…  (Le chien de Dieu)


Dires et redires…

19 février 2012

La Beauté (2)…

Aurobindo

Il existe des paliers qualitatifs aux manifestations de la beauté. Des paliers qui expriment leur potentiel de durée. Il y a des manifestations de la beauté qui durent plus que d’autres, impressionnent positivement plus que d’autres. Notre personne est une grande roue. Plus nous nous avançons vers notre centre, plus nous nous approchons de notre moyeu divin par cette voie royale qui conduit au supramental en soi, plus le temps s’absente, plus tout ralentit. Plus la manifestation de la beauté que nous sommes à élaborer ressemble à notre principe directeur ou en découle, plus elle durera, plus elle influera sur le cours des choses, plus elle fleurera l’éternité. D’autre part, plus la manifestation se situe à un niveau de temporalité aiguë, plus le temps la charroiera avec hâte hors des consciences individuelles et de la conscience collective.

(Propos pour Jacob)

*

Une autre des caractéristiques de la beauté est d’être inépuisable. Chacun peut y puiser, en user et en abuser sans en priver ses voisins.

(Propos pour Jacob)

*

La beauté est la voie royale vers l’accomplissement éthique pour les individus et elle est la principale force d’attraction qui inspire l’effort humain vers le parachèvement de l’humanité.

(Propos pour Jacob)

*

En toute justice, je me dois de rectifier un peu mon tir (et mon dire) : lorsqu’il abandonne la corsetterie pour parler peinture, Mallarmé devient sublime. Il adore les impressionnistes et sait défendre la beauté contre les utilitaristes de tous crins : décorateurs et moralistes. La beauté n’a pas à s’excuser de son apparente inutilité. Elle est. On l’aime. C’est là sa seule justification. Répond-elle à un besoin ? Sans doute, sinon elle n’existerait pas. À condition d’accoler à cette notion de besoin une dimension spirituelle.

(Le chien de Dieu)

*

La beauté ne prêche ni la morale sociale ni la morale individuelle. Si elle atteint des buts éthiques, c’est indirectement : en orientant l’humain vers une plus grande conscience de soi et du monde, en poussant à l’individuation celui qui sait la percevoir.

(Le chien de Dieu)

*

Elle [Susan Sontag] me fascine et m’énerve. Si on en croit son argumentation contre Leni Riefenstahl, tout ouvrage qui glorifierait la beauté, la force, la réussite et le triomphe de la volonté serait d’inspiration fasciste. Si les fascismes ont le monopole des vertus et esthétiques positives, eh bien, je suis fasciste ! Le courage et la volonté n’existaient pas chez les républicains espagnols ? Chez les barbudos de Fidel ? Le triomphe final des Lumières et de l’Humanité que chante la Neuvième de Beethoven serait aussi fasciste ? Le vieil homme et la mer, d’Hemingway ? Sontag désigne explicitement comme œuvres fascistes Fantasia de Walt Disney et 2001 : l’odyssée de l’espace de Kubrick… Le gauchisme salonnard sombre parfois dans un crétinisme qui frôle l’absolu.

(Le chien de Dieu)

*

Hier, coucher de soleil ordinaire du lieu – c’est-à-dire hors de l’ordinaire). Sur le quai, des jeunes, des vieux, des chiens… Dans un silence religieux, d’église. Frémissements sacrés. Le soleil est descendu rapidement, puis les gens se sont retirés, un à un. Comme chargés de sens pour la nuit. Liturgie d’avant tout temple, toute cathédrale. Toutes ces femmes et tous ces hommes, sur le quai, étaient meilleurs en ce moment précis de crépuscule qu’ils ne le sont (ou le montrent) dans leur quotidien. Nécessité de la transcendance pour résider dans cette partie de soi-même où on excelle à être soi. Lorsqu’on s’en éloigne, on devient moins généreux, moins aimant, fermé à la beauté du monde et prompt à la bêtise méchante, car en rupture avec soi.

(Le chien de Dieu)


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