Homère et Marion Le Pen… par Alain Gagnon

28 mai 2017

Actuelles et inactuellesalain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, québec

Littérature. — De Homère aux histoires outrées de Pierre Bellemare en passant par Rimbaud, les textes littéraires et/ou historiques nous permettent de partager ce que les humains ont pensé, ressenti, imaginé, fait, inventé… Pauvreté d’une éducation qui se prive de cette richesse !

Désir d’approbation. — Ce besoin répandu, chez les individus et les groupes, suscite, comme effet bénéfique, une certaine discipline sociale. Mais il comporte ses effets négatifs : conformisme et mimétisme, mépris de soi-même – donc des autres –, ressentiments et haines accumulées, passivité fataliste, crainte maladive de la critique, autocensure apeurée. Tout ce que l’on retrouve à l’intérieur des cliques soumises aux diktats des tendances. À haute intensité dans les milieux intellectuels et médiatiques de gauche.

Lacune en histoire. — On peut faire croire n’importe quoi à celui qui n’a aucune idée des faits politiques ou climatiques du passé. Tour devient « fin du monde » ou « fin d’un monde ». On les entend qui répètent : « On est tout de même en 2017 ! » Formule magique. Comme si, depuis des siècles, les ignorants n’avaient pas ânonné la date où le calendrier les avait poussés.
Index. — J’ai vécu l’Index catholique au Québec. Ces temps où l’Église condamnait des auteurs aussi inoffensifs que Mauriac, entre autres. Où on censurait éditeurs et libraires. (L’Imprimatur !) Où nous lisions des classiques expurgés.
Malgré tout (ou grâce à cela…), on lisait plus et, surtout, mieux qu’aujourd’hui. On désire ce qui est plus ou moins inaccessible. Et le livre n’était pas facile d’accès. Nous les désirions, les cachions et les dévorions.
En nos temps du livre partout, des liseuses, d’Amazon, on ne lit plus et, si on lit, ce sont des traductions bâclées de bestsellers américains. Et les quelques lectures obligatoires paraissent des pensums très lourds et inutiles aux étudiants. Il faut dire que les enseignants choisissent souvent des auteurs qui font dur.
Heureux temps, celui où je lisais à l’étude Malraux ou Nietzsche sur mes genoux, tout en laissant croire au surveillant (complice ?) que je faisais une rédaction anglaise, dictionnaire bien en vue.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, québecMarion Le Pen et la culture. — J’ai toujours cueilli mes pierres précieuses là où elle se trouvait, sans m’occuper du lit du cours d’eau.
Dans une entrevue à un magazine, on retrouve ces deux idées-forces sur la culture que je fais miennes : 1. La culture est le seul bien que l’on peut partager sans s’appauvrir ; 2. La culture, c’est ce qui sert de ciment à des individus pour constituer un peuple. Définitions qui ont des pieds et des mains.
Formulations à la fois non élitistes et non réductionnistes.

L’auteur : Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K(Pleine Lune, 1998). Quatre de ses ouvrages en prose ont ensuite paru chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale(2003), Jakob, fils de Jakob (2004), Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013). Il a reçu à quatre alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québec reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique(Triptyque, 2005), Les versets du pluriel(Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011). En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010). Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan,Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux(MBNE) ; récemment il publiaJit un essai, Fantômes d’étoiles, chez ce même éditeur. On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL. De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue. Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

28 août 2013

Pied de nez !  (Suite)

Cher Chat,

Tiré du site de CHOI 98,1 Radio X

Je vous invite, comme promis, à repartir du bon pied sur le chemin des odeurs.  Je ne voudrais pas, mon Matou, vous laisser plus longtemps la moustache en berne.  De toutes les façons, je ne supporte pas les odeurs de renfermé et ce sujet, étant propice à maintes ouvertures, m’offre de remettre sans complexe les pieds dans le même plat.

Nous chasserons aujourd’hui les mauvaises odeurs.  Enfin, pour être plus précise, ces essences naturelles que l’éducation bien pensante tente de masquer par mille et une mises à pied aseptiques du genre : « À vos déodos !  Mâtez vos aromates ! »

Eh bien, moi, je suis sceptique !

Aujourd’hui, on blanchit tout, même l’argent, et pourtant le monde n’a jamais senti si mauvais, non ?  On se tourne les talons en cultivant des relations virtuelles inodores alors que la solitude nous talonne.  On fait des pieds et des mains pour tous sentir la rose, dissimulant ainsi nos huiles essentielles derrière des mensonges qui, dans certaines bouches, ont pourtant fort mauvaise haleine.  Mais que voulez-vous, cher Chat, les odeurs autochtones sont des parfums défendus.  Il ne fait pas bon semer nos senteurs fauves.  Alors, on vaporise, on stérilise, on javellise.

Êtes-vous déjà entré, le Chat, dans une maison sans odeur ?  Ma maison a longtemps senti les Vachon.  C’est le nom des gens qui, la larme à l’œil, nous ont cédé leur demeure familiale et dont l’odeur a plané en sursis quelques mois avant que la nôtre finisse par mettre la leur au pied du mur.  Maintenant que notre maison sent comme nous, on a l’impression qu’elle ne sent plus rien du tout, sauf  quand on y revient après une longue absence.  On surprend alors, avant qu’elles ne s’échappent, nos fragrances endormies dans l’air encore immobile.  Et c’est drôlement rassurant de se sentir chez soi.

Une maison qui n’a pas d’odeur n’a pas d’identité.  Je ne dis pas que ça doit automatiquement sentir le steak frites chez un Français, le chili con carne chez un Mexicain ou le ragoût de boulettes chez un Québécois, mais je trouve révélateur de ce siècle anezrexique, que mes semblables soient obsédés par leurs propres odeurs au point de chercher à les maîtriser sans relâche.

Même si l’on dit souvent que personne n’est dégouté par ses propres odeurs, elles sont tout de même sérieusement en voie de disparition.  Qui sait, le Chat, si un jour, on ne livrera pas une guerre intestine contre les flatulences jusque sur la voie publique ?  Je dois bien avouer que même si ma narine a le pied marin, volontiers dilatée contre vents et marées, il m’est arrivé d’entendre certains mots d’intestins dont le verbe corrosif a bien failli m’envoyer plus d’une fois six pieds sous terre.  Mais s’il faut choisir entre le bruit de l’odeur et l’odeur d’ennui des parfums d’ambiance, mon nez préfère le chaos.  Parole d’odeur !

Tiré de Selection du Reader's Digest

Tiré de Selection du Reader’s Digest

Il faut cependant que je vous avoue, cher Chat, que je ne saurais trop sur quel pied danser si mon entourage me faisait savoir que mon odeur naturelle les incommode.  Une telle critique semble en effet très proche de la blessure narcissique.  L’odeur serait alors un de nos talons d’Achille et laisser libre cours à sa spontanéité olfactive équivaudrait donc à se tirer soi-même dans le pied ?  Là, repose peut-être la raison de cette tendance à l’aseptisation.

Mais alors, comment aurais-je fait pour trouver chaussure à mon nez ?  Comment aurais-je pu reconnaître celui dont l’odeur m’était piedestiné s’il l’avait réduite comme peau de chagrin ?  Car l’amour n’est-ce pas d’abord aimer follement l’odeur de l’autre * ?

Et c’est bien là, dans l’odeur d’une peau cédée que loge mon cœur de femme.

Sophie

* Citation tirée de La vie secrète de Pascal Quignard.

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

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Les couleurs de Virginie, par Virginie Tanguay…

25 juin 2013

Les canots d’Obedjiwan

Il y a longtemps, la forêt boréale était le lieu où Européens et Amérindiens échangeaient dans le commerce des fourrures.  Les peaux douces, chaudes et lustrées des castors, des martres, des loutres et des visons faisaient la joie des étrangers.  Un jour, une guerre de territoire se déclara entre les Montagnais, les Iroquois et les Attikameks.  Ces derniers furent vaincus et presque anéantis.   De plus, comble de malheur, des épidémies dévastatrices les frappèrent.   D’autres épreuves allaient s’ajouter pour assombrir encore le tableau…

Les Attikameks s’étaient établis dans le Haut-Saint-Maurice, un territoire sauvage, immense, parsemé de lacs limpides où l’épinette noire est un des rares conifères à résister aux hivers rigoureux.  La chasse à l’orignal, à la sauvagine et la pêche faisaient partie des activités quotidiennes essentielles à leur survie.  Ces Amérindiens observaient les bêtes et apprenaient de leurs comportements.   J’ai entendu dire que c’est en regardant une gélinotte marcher sur la neige qu’un homme avait eu l’idée de fabriquer des raquettes en babiche d’orignal pour faciliter ses déplacements.

L’arbre donnait la vie.  Son liber nourrissait l’homme.  On utilisait les feuilles et les branches pour produire des médicaments.  Avec l’écorce, on fabriquait des canots et  des paniers.  On utilisait les racines pour confectionner des cordages.

Un printemps où les nuits étaient très froides et les journées ensoleillées, une femme « kukum[1] » fit la découverte du sirop d’érable.  La sève montait à profusion à la cime des arbres.  La vieille entailla un tronc pour y recueillir son eau et la faire bouillir.  Elle oublia son chaudron quelques heures sur les braises…   Et un nectar sucré en résulta – il allait en régaler plus d’un.

Au vingtième siècle, l’arrivée des pensionnats autochtones bouleversa leur vie.  Les enfants, séparés de leur famille, devaient faire face à une nouvelle langue, à une nouvelle culture, à la solitude.

Il y a des hommes déportés de leurs coins de pays que d’autres ont forcés à s’exiler vers des lieux habités.  Souvent, ils déambulent dans la ville d’un pas lent, incertain.  Déracinés de la culture dans laquelle ils auraient voulu vivre, ils essaient de se tenir debout malgré la douleur.  D’autres, mieux adaptés au changement, à la modernisation, affichent fièrement leur identité amérindienne et s’intègrent bien dans la société actuelle.

Leur langue maternelle, l’attikamek, me semble abrupte à l’oreille de par ses consonnes prononcées sèchement.  C’est en les entendant s’exprimer dans leur dialecte que j’ai la conviction qu’ils sont des survivants, des guerriers.  On sent l’importance qu’ils accordent à la transmission de leur culture ancestrale.

Le canot voyage, glisse et fend l’eau.  Le pagayeur est son guide et peut le mener très loin.

Virginie Tanguay


[1] Grand-mère.

 Notice biographique de Virginie Tanguay

Virginie Tanguay vit à Roberval, à proximité du lac Saint-Jean.  Elle peint depuis une vingtaine d’années.  Elle est près de la nature, de tout ce qui est vivant et elle est très à l’écoute de ses émotions qu’elle sait nous transmettre par les couleurs et les formes.  Elle a une prédilection pour l’aquarelle qui lui permet d’exprimer la douceur et la transparence, tout en demeurant énergique.  Rendre l’ambiance d’un lieu dans toute sa pureté est son objectif.  Ses œuvres laissent une grande place à la réflexion.  Les détails sont suggérés.  Son but est de faire rêver l’observateur, de le transporter dans un monde de vivacité et de fraîcheur, et elle l’atteint bien.  Elle est aussi chroniqueuse régulière au Chat Qui Louche.

Pour ceux qui veulent en voir ou en savoir davantage, son adresse courrielle :  tanguayaquarelle@hotmail.com et son blogue : virginietanguayaquarelle.space-blogs.com.  Vous pouvez vous procurer des œuvres originales, des reproductions, des œuvres sur commande, des cartes postales.

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Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

12 juin 2013

L’ignorance et le savoir : description d’un combat

Tout le monde a certainement vécu cela, en tout cas, moi, j’en ai été marqué : à l’époque où je découvrais toutes sortes de choses, la littérature, la musique, le cinéma et que je les découvrais dans leur réalité vivante que l’école volontairement oubliait, je me heurtais encore et encore à des gens qui levaient le nez sur mes admirations ; j’avais fini, réaction de défense sans doute, par les considérer comme des snobs avant de m’apercevoir, au fil du temps, que ce n’étaient pas tous des snobs et que si certains trouvaient mes goûts naïfs et communs, c’était parce que plus familiers de ce chemin où je commençais de m’aventurer, ils en savaient infiniment plus que moi et avaient, somme toute, raison.

J’en ai gardé une certaine prudence qui m’incite à tenter de distinguer soigneusement les snobs des gens authentiquement « cultivés » qui peuvent parfois se retrouver sur le même terrain.  Je recherche, et reconnais en tout, ceux que l’on pourrait appeler des « connaisseurs » puisque désormais le mot culture ne désigne plus que l’appartenance à une société et n’implique en rien un effort sur soi et une recherche proche de l’ascèse dans le raffinement actif de ses goûts peut-être natifs et, en tout cas, appris.  Les connaisseurs, comme les experts, sont de nos jours dévalués dans la grande braderie populiste où tout équivaut à tout, où nul ne voit mieux ou plus loin que n’importe qui.

Connaisseurs méprisés, experts vilipendés

Un jour, je me suis rendu compte que les « connaisseurs » avaient raison sur moi, parce qu’ils en savaient plus.  Et ils en savaient plus, parce que leur savoir était le résultat d’un choix, d’une discrimination et parce que cette discrimination s’était exercée, non pas sur le tout-venant de l’actualité et de la mode, mais sur un ensemble plus vaste formé de leur petite histoire personnelle au sein de l’histoire générale de ce qui suscitait leur passion.  Autrement dit, ils connaissaient la musique alors que je ne faisais que siffloter maladroitement les airs à la mode remplacés dès le lendemain par d’autres.  Ils se fondaient sur leurs acquis auxquels ils en ajoutaient d’autres dans un processus dynamique, alors que je papillonnais dans l’air du temps, cette erre d’aller changeant comme les goûts et les impulsions de la foule.

Le réflexe standard, aujourd’hui, à la rencontre d’un de ceux que j’appelle les connaisseurs, tient en une formule : « pour qui il se prend, celui-là ! » Sous-entendu, qu’est-ce qu’il a de plus que moi, d’où vient l’autorité qu’il se donne ?

Le sacrifice que nous avons fait de l’autorité a jeté, avec l’eau des institutions qui la fondaient, le bébé de l’autorité du savoir et de celui qui s’en fait le porteur au prix d’un travail et d’une exigence.

Je l’ai déjà dit maintes et maintes fois : cette société du savoir dont nous saluons la prétendue émergence sur toutes les tribunes n’est en fait qu’une culture de l’ignorance.  C’est la loi de la société de consommation, où le loisir se pose comme l’alternative et la récompense d’un travail considéré soit comme abrutissant, soit comme un pis-aller.  Et c’est pourquoi, quand on consomme, il ne faut surtout pas « travailler », c’est-à-dire chercher, réfléchir, se transformer, éprouver et vivre le monde d’une façon inattendue.

Or, tous ceux qui s’investissent dans leur travail, tous ceux qui se passionnent pour un « loisir » vous diront que pour eux, il n’y a pas de différence entre l’un et l’autre.  J’ai eu, quant à moi, la chance de devenir un de ceux qui font de leur passion un métier et je n’ai donc jamais pris de « vacances » ni n’ai jamais « travaillé » : j’ai simplement vécu ma raison de vivre.

Et puisque cette vie s’appelle la littérature, j’ai beaucoup investi en elle, j’ai beaucoup travaillé, j’ai beaucoup joui, au point que je ne distingue plus entre chacun de ces termes.  Et je me considère comme un « connaisseur ».

Ce qui veut dire que la vulgate médiatique et le bon peuple lèvent le nez sur moi, comme sur le premier « expert » venu, et qu’on m’oppose les « prix des lecteurs » et les chiffres de vente en guise d’argument quand vient le temps d’exercer une discrimination quelconque en matière de littérature.

Tout est égal à tout, et réciproquement

Mon cas personnel et ma discipline ne sont qu’un exemple parmi des milliers.  Car de nos jours, « l’argument d’autorité », c’est-à-dire l’autorité qui le profère tenant lieu d’argument, a été remplacé par ce que l’on pourrait appeler « l’argument d’égalité », un mode de conviction dérivé de la généralisation absolue des droits de la personne et de leur corolaire : l’équivalence généralisée des personnes, des opinions, des croyances et des actions, ce qui revient, en fin de compte, à l’équivalence du savoir et de l’ignorance, de la science et de la pensée magique, de la politique et du sport, du dialogue et de l’invective.

Puisqu’il n’y a plus d’autorité, ni de celles qui s’imposent par un bras armé institutionnel ni de celles que l’on reconnaît « naturellement », rien ne met plus fin à l’empoignade et nul pays n’est désormais gouvernable.  On ne discute plus, on ne débat plus, on n’argumente plus : on affirme ou on nie ; on ne donne plus sens à quelque chose, on communique n’importe quoi et même, on se communique soi-même, point à la ligne.  Et en bons binaristes ou binarisés que nous sommes, on opine ou on s’oppose, on aime ou on n’aime pas, on est complice ou adversaire.

Loin de la dialectique qui animait, pour le meilleur et pour le pire, le siècle précédent, nous sommes à l’heure de la dichotomie triomphante où il s’agit finalement pour chacun de fortement marquer son territoire, sans doute pour se donner le sentiment d’exister.  Je me manifeste, donc je suis.  Pauvre Descartes, puisque tu ne pourrais que constater cette évidence, la mieux partagée de nos croyances : se manifester ne veut pas nécessairement dire « penser » !  La société de l’ignorance nous le fait savoir tous les jours.

Car il n’y a plus d’argument qui tienne devant l’autorité absolue du moi.  Il n’y a plus d’évolution possible devant 3l’immobilité de son quant-à-soi.  Plus d’échange devant sa poussée virale.

Il va nous falloir, collectivement et individuellement, un effort surhumain pour sortir de cette complaisance de l’ignorance qui est une forme d’esclavage.  Il va nous falloir enfin reconnaître à leur juste valeur les Jos connaissants et les pelleteux de nuages, les connaisseurs et les experts, tous ceux, en un mot, qui, au fil souvent d’une vie, auront pris la peine, dans les domaines les plus insignifiants comme dans les plus capitaux, de devenir des maîtres.

Car sans ces maîtres-là, il n’est pas de liberté.

Jean-Pierre Vidal

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis safondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaires québécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtc,Ciel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

 


Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

6 mars 2013

Le public-roi est nu

On connaît le conte de Hans-Christian Andersen, Les habits neufs de l’empereur (1837), dans lequel l’écrivain danois imagine la fable d’un empereur (devenu un roi dans la tradition française qui en fit un proverbe) qui, convaincu par deux escrocs de porter un vêtement de leur confection qui ne serait vu que par les personnes intelligentes, se promène tout nu puisque, bien entendu, l’escroquerie est ici dans l’illusion vendue à l’empereur, qui permet aux deux compères de se faire ainsi payer pour du vent.  La foule des sujets évidemment ne dit rien, pour ne pas offenser le monarque.  Seul un enfant a le courage, dans son innocence, de faire remarquer que « le roi est nu », comme le veut en français la formule proverbiale.

Eh bien ici, je m’essaierai à être cet enfant.  Et puisqu’en régime néolibéral, postmoderne, tout ce que vous voudrez du même tonneau, notre roi est le marché, c’est-à-dire en matière de culture le public, je dénoncerai ici cette nudité arrogante qui promène sa fatuité sur nos ondes, dans nos maisons d’édition, sur nos écrans, bref partout où quiconque, prétendant  avoir une imagination, une créativité et un travail qu’il a l’outrecuidance d’appeler de l’art, se heurte à sa boursouflure.  Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’enflure nommée masse ou public.

La drogue des pauvres d’esprit

Le public auquel font appel les médias, en vérité, ils le créent.  Et c’est innocent, incompétent, ignorant qu’ils le font naître : bref, il est nu.  Mais personne n’ose s’en aviser et surtout le dire, sous peine d’être accusé d’élitisme.  Selon l’habituel sophisme qui veut qu’on lance au visage de ceux qui ont de la culture l’autre culture, celle de ceux qui n’en ont pas ou qui n’ont que celle qu’on leur donne, la culture dite « populaire ».

Ce véritable nivellement par le bas répond, bien sûr, à une exigence commerciale et n’a rien à voir avec le souci de « vêtir ceux qui sont nus », comme dirait Pirandello, en leur donnant la noblesse d’une culture qui serait à eux, les tout nus et que de méchants élitistes voudraient leur refuser.  Il s’agit plutôt de faire de ce public le pur regard qu’appelle la société du spectacle.  Un regard nu, sans appréhension ni intention ou attente, un regard en quelque sorte aveugle et qui n’a d’autre fonction que de témoigner de sa présence.  Témoigner simplement qu’il est là, comme une cote d’écoute ou comme tous ces braves gens qu’on voit en studio, à la télé, tapisser les murs de leur silence attentif.  Témoigner qu’il est bien tel qu’on le veut : sans histoire personnelle, sans qualités individuelles, sans rien qui ressemble à une individualité.  Témoigner qu’il est et reste une poussière de masse décorative ou encore indicielle quand il s’agit d’aller chercher du financement pour telle ou telle fadaise, telle ou telle nullité.

Ce public, on fait sans cesse appel à lui, certes pour les cotes d’écoute ou les chiffres de vente, mais aussi pour qu’il s’attache encore plus au produit en lui donnant l’illusion qu’il y participe.  Ainsi en est-il des tweets fortement sollicités sur les sites des émissions pendant qu’elles se déroulent, ainsi des « vox pop » dont on a la délicatesse de nous prévenir qu’ils n’ont aucune rigueur scientifique, mais qui n’en ont pas moins pour but de donner l’impression d’une majorité d’opinions à partir de quidams pris au hasard, mais sélectionnés au montage.

Et c’est ainsi que tout ce que les marchands de vent nous fourguent à la télé, au cinéma, dans la presse, partout, est toujours en adéquation parfaite avec ce que veut le public : s’il y a tant de sport et si peu de culture ou d’art dans les médias de masse, c’est parce que le public le veut bien.  Si toute cette soupe devient de plus en plus indigeste, de plus en plus insipide, c’est parce que le public le veut bien : le pauvre est tellement crevé par son travail, tellement vidé qu’il ne veut pas faire d’effort.

L’enfant que je suis resté osera faire remarquer qu’il y a maintenant plus d’un siècle et demi, le camarade Karl Marx avait déjà démontré tout ça en disant que tout ce que le capitalisme concède aux travailleurs, c’est juste de quoi entretenir leur force de travail : le strict minimum vital, le reste de la valeur qu’ils produisent, formant, confisqué par le capital, la plus-value génératrice de profits.

Le capitalisme moderne ajoute à ce constat la reconnaissance que le travail épuise et vide le corps et l’esprit, en un mot, abrutit.  Et comme remède, il donne l’oubli, c’est-à-dire le divertissement là où, en son temps, Marx ne voyait dans le même rôle que la religion et inventait à son propos la formule « l’opium du peuple ».

De nos jours, le peuple ne se shoote pas ou ne s’envoie pas en l’air, c’est le cas de le dire, avec Dieu : il carbure au Banquier et à Occupation double, ou encore à toutes ces innombrables émissions où l’on apprend au bon peuple ignorant — mais sans le lui dire, tout de même, ce serait trop dur pour le pois chiche qui lui tient lieu de cervelle — ce que c’est qu’une mise en abîme en consacrant une émission de télé… à la télé !  Et quand ça ne suffit pas, le peuple, on le fait chanter, en concours ou en famille.  Participation, qu’y disaient!

Je cherche un homme

Oui, dans toute cette absurdité spectaculaire, comme Diogène dans le désert de l’Athènes de son temps, je cherche un homme.  Je cherche l’homme, l’humain, dans le public.  Et je ne l’y trouve pas.

Car j’ai beau être encore un enfant, je ne crois pas pouvoir identifier cette espèce rare dans le voisin qui n’a rien vu, qui a seulement entendu arriver la police et qui ne connaissait pas plus que ça le gars d’à côté qui vient de tuer femme et enfants, mais qui parle complaisamment aux heures de grande écoute aux micros qu’on lui tend.

Et l’enfant que je suis se demande comment il se fait qu’avec toute cette instruction que nous avons de plus que nos ancêtres et même que nos parents, les médias de masse nous tendent un tel miroir où nous nous voyons nuls dans ce qu’ils appellent « le monde ordinaire ».

Et nus, tout nus, dans ce qu’ils nomment « le vrai monde ».  Nus, telle la vérité sortie de leur puits putride.

 Comme d’un chapeau, le lapin de l’illusionniste.

Jean-Pierre Vidal

Notice biographique

PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (1997).
Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.  De plus, il vient de publier Apophtegmes et rancœurs, un recueil d’aphorismes, aux Éditions Le Chat Qui Louche.
Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.
Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)



Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

15 novembre 2012

Méprisant respect

C’est l’oxymore qui me vient spontanément à l’esprit, ou plutôt à la plume, ou plutôt au clavier, quand il est question des égards intéressés dont on entoure de nos jours le public, c’est-à-dire vous ou moi, et surtout « le cochon de payant », comme on disait autrefois.  Ce « respect » hypocrite de vendeur vous est universellement manifesté par quiconque a, comme on dit, « affaire à vous » : des artistes aux médias de masse et des politiciens aux assureurs, tout le monde se fendrait en quatre à force de courbettes pour, disent-ils tous, satisfaire vos besoins et répondre à votre demande.

Mais les besoins du public, comme sa prétendue demande, sont des fictions obtenues en présupposant qu’elles représentent la réaction exacte à l’offre bien adaptée qu’on veut bien lui faire.  Autrement dit, ce que je vous offre, c’est très exactement ce que vous auriez demandé si vous vous étiez exprimé.  Ainsi, en fin de compte, la demande n’est que la conséquence de l’offre lorsque celle-ci a bénéficié d’une bonne campagne de marketing.  C’est un antécédent qui se présente comme un conséquent : métalepse, diraient les rhétoriciens.

Et justement, de rhétorique il est plus qu’un peu question dans tout cet enfirouapage.

Le public seul règne et il suffit

 C’est ainsi, par exemple, que l’artiste propose à son public interactivité et participation à l’œuvre, comme si celui-ci ne rêvait que de ça ; c’est ainsi que l’homme ou la femme politique est persuadé que votre seule préoccupation est économique et que l’assureur feint de croire que vous voulez recevoir plus que ce que valent vraiment vos biens ou votre misérable vie.  Et finalement, pour arrêter une énumération qui pourrait s’étendre, c’est ainsi que le présentateur ou la présentatrice, à la télévision, vous la joue à la compassion ou à l’empathie, au point de mettre dans sa voix, parfois, des larmes de crocodile et des sanglots d’émotion quand il évoque « votre » monde, le seul qui fasse la nouvelle.

C’est bien de larmes de grand saurien qu’à chaque fois il s’agit : obsédés de la vente à tout prix, y compris la vente à rabais d’amitié, d’idées ou d’émotions, les innombrables crocodiles, qui nous guettent l’âme encore plus que la bourse, tentent de nous attendrir pour mieux nous avaler tout rond.  L’art délicat du blogue ne répond-il pas aussi, en partie, à ce besoin presque irrépressible de se « vendre » ?  Je ne m’exclus pas de cette tendance universelle, comment le pourrais-je ?  Nous sommes tous pris dans des modes d’exister que notre société non seulement définit, mais de plus en plus impose.

Bien sûr, tout cela ne marcherait pas si bien si nous n’étions déjà conditionnés à nous montrer, voyez l’actualité, lâchement indifférents, irresponsables, inaccessibles à tout ce qui n’est pas conformiste, insensibles à tout ce qui n’est pas notre confort.

Et c’est ainsi que l’art, la culture, l’exigence, prennent le bord : l’art devient distraction, la culture mode de vie, l’exigence affaire de curé ou de moraliste.

Or, il me semble plutôt que l’art commence où se termine la zone de confort, non seulement de qui le pratique, mais aussi de qui le reçoit ; que la culture n’est pas un « erre d’aller » passif et entièrement appris, mais un activisme, un projet, un appétit.  Quant à l’exigence, on ne saurait mieux l’illustrer que par le célèbre mot de Nietzsche dans le Crépuscule des idoles : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »

Mais tout cela a été remplacé par la « croissance personnelle », qui n’est que l’art de vous vendre un développement individuel devenu facile : les gourous de cette discipline, qui confine à l’art, vous fourguent à pleines pages, à pleins sites, à pleines chaînes, une exigence confortable, un idéal aisé, au fond la sainte paix.

Et pour cela, il faut vous attendrir, vous faire plus naïf que vous n’êtes et vous persuader que vous êtes inculte, ignare, et même un peu ramolli de la pensarde.  La plupart des médias de masse s’y emploient.  Ce qui permet à tous les démagogues de s’attaquer à l’art et à la culture comme à des chasses gardées d’intellectuels élitistes qui, eux, méprisent le « vrai monde », alors qu’au contraire ils ont pour lui des exigences, quand le discours ambiant, lui, le « respecte » du bout des lèvres et de la rhétorique… avec le profond mépris qu’on a toujours pour sa dupe.

Vous avez toujours raison quand on veut vous acheter

On ira même, dans des cas extrêmes, jusqu’à prétendre qu’on n’a rien à vous apprendre, que vous êtes, qui que vous soyez, un puits de science et un monstre de culture.  Écoutant, l’autre matin, Radio-Canada, j’ai entendu, avec ahurissement, une animatrice déclarer que les petites notices mises dans les musées sous les tableaux avaient pour effet d’« infantiliser le visiteur », c’est-à-dire d’humilier le bon peuple en lui mettant le nez sur son ignorance.  Ou en le supposant plus ignorant qu’il n’est.  Ben voyons donc, chose, comme dirait Foglia !

Dans une société où tout est vente, au point que les états achètent des emplois aux multinationales à coups de millions de subventions, l’offre ne répond pas à la demande, elle la formate.  Bien des offres sont comme celles de Don Corleone : on ne peut pas les refuser.  Avez-vous réussi, vous, à refuser l’offre de votre compagnie de téléphone, de votre fournisseur d’accès Internet ou de votre banque, quand ils augmentent leurs tarifs « pour mieux vous servir. » Là aussi, le ton servile, presque bonasse, cache à peine un mépris de fer : si vous êtes capable de gober l‘hameçon qu’on augmente le tarif « pour mieux vous servir », c’est que vous êtes « digne » de payer, comme le premier poisson venu.  Il faut être sûr de son coup ou de notre stupidité pour nous faire avaler des énormités pareilles.

Mais le pire, dans tout ça, c’est que ça marche.

Notice biographique

PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (1997).

Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.  De plus, il vient de publier Apophtegmes et rancœurs, un recueil d’aphorismes, aux Éditions Le Chat Qui Louche.

Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.

Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

4 octobre 2012

 

Art et communication

Alors que des odeurs de plus en plus nauséabondes montent de certaines de nos administrations municipales, que chacun fourbit ses armes pour le prochain affrontement politique tout en appelant avec une apparente sincérité à la retenue du ton et au respect de l’autre, tandis que la Base de Bagotville se rappelle à notre bon souvenir tous les jours à l’heure des repas avec ses fracas guerriers, l’automne flamboie, tombent les feuilles, la lumière chante, je demeure.  Cela dit, pour parodier gentiment Apollinaire.

Il reste que je demeure attentif au monde qui nous rappelle peut-être un peu plus son existence les jours où la nature change son visage et ses couleurs.

Mais sortir de sa bulle n’est pas chose aisée quand tout est fait pour nous y ramener, nous y enfermer à double tour médiatique et cybernétique, sans doute pour mieux nous « cibler ».

Heureusement, il reste l’art, cette grande secousse, ce dépaysement, cet appel, l’art qui est tout sauf la forme de communication à laquelle on voudrait le réduire. Parce que l’art est tout entier dans ce que j’appellerais la position d’altérité. Et que la communication telle qu’on nous la propose aujourd’hui n’est, au contraire, qu’un enfermement dans le narcissisme du client que l’on flatte pour mieux lui vendre des choses.

L’héritage grec

En matière d’art, nous autres, Occidentaux, sommes très certainement encore les descendants des Grecs : non seulement notre idée du beau est-elle toujours tributaire, mutatis mutandis, de la leur, mais la façon dont nous envisageons l’art, sa pratique, sa théorie, sa critique est elle aussi tout entière inscrite dans les problématiques qu’ils ont élaborées à ce sujet. Il n’est que d’ouvrir n’importe quel livre sur le théâtre le plus contemporain pour voir apparaître Aristote, n’importe quel livre sur les arts plastiques ou la littérature pour qu’on y mentionne Platon, fût-ce pour s’en distancier, bien sûr.

Or, c’est cet héritage sans cesse repris, critiqué, reformulé depuis la Renaissance qui se trouve, à mon sens, pour la première fois, complètement évacué depuis le tournant du XXIe siècle. Nous sommes désormais sortis du paradigme grec.

J’en veux pour preuve cet abandon total aujourd’hui de ce qui est au cœur de la pensée grecque, dans tous les domaines, qui nous a donné la démocratie et son pendant langagier, la dialectique : je veux parler ici de cette réciprocité fondamentale qui fait de tout affrontement duel une étreinte presque amoureuse, de tout regard un regard renvoyé, de toute position du sujet un rapport à l’autre. Ce que j’appelais plus haut la position d’altérité.

La clé de ce paradigme de l’altérité réciproque nous est notamment donnée par le mot dont on dit, en Grèce ancienne, l’étranger : « xénos », en effet, qui nous a donné xénophobe, xénogreffe, etc., veut dire non seulement « l’étranger », mais aussi l’« hôte », et qui plus est, dans son double sens inverse de « celui qui reçoit » et de « celui qui est reçu ».

L’art ne communique pas

 Je me suis élevé toute ma carrière contre cette idée reçue que l’art est une forme de communication, quand bien même un peu plus complexe. L’évolution récente de la communication, qu’elle soit médiatique ou simplement privée, me conforte de plus en plus dans cette position.

L’art en effet repose sur ce que j’appellerais la contagion de l’étrangeté. L’art transporte l’étrangeté et la répand comme un virus.   Y compris dans cette autre étrangeté qu’est son public.

Nul artiste véritable n’existe sans cette position préliminaire d’étrangeté qu’il adopte face au monde, devant lequel il doit prendre ce que le théoricien de l’art, Didi-Huberman, appelle une posture « native » : être devant le monde et l’œuvre à faire comme un nouveau-né qui découvre l’étrangeté de l’autre. Et si l’œuvre ne produit pas chez cet autre qui la reçoit un ébranlement qui renouvelle son regard, elle est nulle et non avenue, elle n’existe pas, ce n’est pas de l’art, mais du divertissement dont la fonction est de conforter des certitudes, voire de réconforter des faiblesses ou des fatigues.

Et que fait la communication telle qu’on nous l’impose ? Loin d’ouvrir, elle claquemure.

Ouvrez n’importe quelle chaîne de télévision, qu’y voyez-vous ? Plutôt que le monde, votre regard sur le monde, au lieu du grand corps où nous sommes tous pris, le petit nombril de chacun d’entre nous, en lieu et place de la destruction des œillères, leur renforcement.

Et c’est ainsi qu’à RDI, par exemple, Louis Lemieux, d’une voix dégoulinante de chaleur humaine vous annonce des nouvelles de « votre » monde, comme si l’on se foutait des autres mondes. C’est ainsi que les émissions d’information sont de plus en plus squattées, phagocytées, digérées presque par les tweets et les textos qui sont attendus et scrutés bien plus attentivement que les nouvelles.

Parce qu’elle ne se soucie plus d’altérité, mais promeut surtout la vente, la communication actuelle réduit l’homme, le rabougrit, en fait un nain heureux.

Nous sommes partis des Grecs pour arriver chez les réducteurs de têtes.

Certains appellent encore ça le progrès.

Jean-Pierre Vidal

Notice biographique

PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (1997).

Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.  De plus, il vient de publier Apophtegmes et rancœurs, un recueil d’aphorismes, aux Éditions Le Chat Qui Louche.

Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.

Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.

Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/


Chronique d’humeur, par Jean-Pierre Vidal…

5 septembre 2012

 

La démocratie en bulles

Au moment où j’écris ces lignes, le résultat des élections n’est pas encore connu. Mais quel qu’il soit, il n’infirme pas ce que je m’apprête à dire et qui est déjà, d’ailleurs, tout entier dans mon titre : l’enfermement confortable dans lequel nos consciences à tous coulent des jours heureux et l’insignifiance de nos discussions politiques quand, du moins, nous en avons.

Les bulles, ça me connaît : je suis un universitaire, et qui plus est, spécialiste d’une forme de littérature que le bon peuple, mais aussi la majorité de mes collègues considèrent comme absconse. Et pourtant j’ai l’impression d’avoir toute ma vie fait des pas vers l’extérieur, là où hors bulle et armure, tout se débat à découvert. Je parlerai donc de naïveté : la mienne et celle des autres. Celle de quiconque croit que le social est un dialogue et que les élections en sont le temps fort.

Chacun son enfermement

Dans une petite université régionale, quiconque a décidé de ne pas s’enfermer dans son bureau ou dans sa discipline trouve toujours injuste la vieille accusation d’habiter dans une tour d’ivoire, loin des réalités du monde. Je me suis toujours investi dans des situations et des organisations extérieures à l’université et un certain nombre de mes collègues de toutes disciplines aussi. Bien sûr, c’est toujours dans le prolongement de mon travail d’enseignant et de chercheur. Mais ce prolongement touche directement au milieu régional et transforme nécessairement ma perspective individuelle. Ici, l’université n’est pas une tour d’ivoire, sauf pour qui ne pense qu’à sa carrière de chercheur dont déjà l’enseignement l’éloigne.

Il reste cependant que l’universitaire est enfermé dans son réduit : les médias, qui devraient se soucier d’organiser la rencontre entre le détenteur d’un savoir et la curiosité du public, bouclent au contraire à double tour dans son savoir quiconque serait prêt à vulgariser. Vous n’êtes jamais assez simple pour le public. Et pourtant le Québec possède des vulgarisateurs hors pair qui seraient capables d’expliquer la physique quantique au plus épais des épais si on leur en donnait la possibilité. Mais même dépouillé de votre jargon, vous êtes toujours trop lourd, trop rude, trop exigeant pour l’écoute que les médias ont inventée de toutes pièces, car c’est une fiction : sinon, où diable sont passés tous ces gens instruits que le Québec a formés en nombre de plus en plus grand depuis un bon demi-siècle maintenant ? À moins qu’on en ait fait le deuil et qu’on pense qu’ils n’écoutent ni la télé ni la radio ? L’évolution de la Société Radio-Canada depuis une bonne trentaine d’années illustre éloquemment cette attitude méprisante qui consiste à prendre le public en général pour une mare d’incultes et d’affaissés du cerveau, ou pour des accablés du boulot, lessivés par le travail au point d’en être presque abrutis.

Faut-il rappeler à la haute direction de la SRC — c’est elle la responsable, et non ceux qu’elle chapitre manifestement dans le sens du poil le plus court — que c’est cette institution qui a, en grande partie, donné leur culture à tous ceux et celles qui ont plus de cinquante ans ? Et à une époque où l’école, elle, s’en chargeait pourtant encore, elle aussi, ce qu’elle ne fait plus guère. À cette époque, il y avait un véritable dialogue entre les deux, l’une appuyant l’autre.

La fin du dialogue

On a plutôt l’impression, désormais, que la facilité et la complaisance médiatiques dictent, au contraire, son attitude à l’école. Il n’y a en tout cas plus le moindre dialogue entre ces deux sphères pourtant capitales pour la constitution d’une communauté. Pas le moindre dialogue, parce que l’une a avalé l’autre. Et si ni l’école ni les médias ne se soucient de refonder la communauté, comme ils le devraient, quelle institution pourra bien le faire ? La religion ? Elle a volé en éclats de sectes, de superstitions, d’églises quasi confidentielles ou d’intégrismes plus ou moins avoués, comme celui de notre bon maire.

Le nivellement par le bas de la parole et de l’écoute, le refus de l’effort sur lequel se fonde ce nivellement, l’assimilation de toute opposition à de la violence, la peur du dialogue remplacé par l’assentiment complaisant ou la haine anonyme (voyez le niveau de discours des réseaux sociaux), tout cela emprisonne chacun d’entre nous dans un quant-à-soi imbécile et stérile.

On mesure jusqu’où peut aller notre enfermement si l’on ajoute encore à tous ces facteurs le fait que nos sphères privées les plus larges (et je ne parle même pas des « amis » Facebook) sont elles-mêmes des bulles où l’on pense sensiblement la même chose sur bien des sujets : par exemple, je n’ai, quant à moi, jamais rencontré quelqu’un qui ait voté pour le maire Tremblay, sauf à l’épicerie ou dans les transports en commun, seuls lieux, peut-être, avec l’hôpital, où un individu peut rencontrer des gens qui n’appartiennent pas à son monde.

Dès lors, quoi d’étonnant à ce qu’on ait les campagnes politiques que l’on a ? Notre culture n’est faite que de manies partagées avec un petit nombre, notre communauté n’est animée que d’intérêts minuscules, notre pensée politique ne repose que sur un individualisme soufflé au point de se croire universel alors qu’il est étriqué comme jamais, peut-être, dans l’histoire.

Duplessis pas mort

La majorité dite silencieuse est constituée, hélas, de gens qui ne veulent rien savoir ni de la politique ni de l’art ni de la culture ni de quoi que ce soit qui dépasse le pain et les jeux des Romains de la décadence. La promesse d’emplois et l’appel aux intérêts les plus locaux font foi de tout et quand la majorité silencieuse se réveille en grognant, une fois tous les quatre ans, pour voter, un peu comme on rote, on lui parle son langage : le simplissime et « les vraies affaires », le retour des Nordiques et les mines d’amiante à jobs, la loi qui défait toutes les lois et l’ordre de tous les baillons.

Mais de quelles oubliettes obscures de l’histoire du Québec a donc bien pu sortir ce maire d’une municipalité du lac Saint-Jean qui prétendait se faire élire comme indépendant pour se joindre ensuite au parti victorieux ? Pourquoi élirions-nous à l’Assemblée nationale des gens qui ne s’intéressent qu’au bien de leur bled et sont prêts à avaler toutes les couleuvres idéologiques pour le servir ? N’est-ce pas ainsi, petit intérêt par petit intérêt, que Harper a conquis le Canada ? Et Jean Charest n’a-t-il pas tenté in extremis de nous faire le même coup ?

Prise entre une majorité qui se tait massivement pendant quatre ans et des « individus » qui gazouillent en prenant leurs pouces pour des neurones, mais ne font que répéter les mêmes quatre ou cinq « opinions » simplettes, les mêmes blagues tristounettes, les mêmes injures de cour d’école, que devient la démocratie dont tout le monde se gargarise ?

Je crois qu’elle fait, elle aussi, des bulles.

Dans son bain d’indifférence.

Notice biographique

PH.D en littérature (Laval), sémioticien par vocation, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis l’ouverture de l’institution, en 1969. Fondateur de la revue Protée, il a aussi été chercheur et professeur accrédité au doctorat en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal. Il a d’ailleurs été professeur invité à l’UQAM (1992 et 1999) et à l’UQAR (1997).

Outre de nombreux articles dans des revues universitaires et culturelles, il a publié deux livres sur Robbe-Grillet, un essai dans la collection « Spirale » des Éditions Trait d’union, Le labyrinthe aboli ; de quelques Minotaures contemporains (2004) et deux recueils de nouvelles, Histoires cruelles et lamentables (Éditions Logiques 1991) et, cette année, Petites morts et autres contrariétés, aux éditions de la Grenouillère.  De plus, il vient de publier Apophtegmes et rancœurs, un recueil d’aphorismes, aux Éditions Le Chat Qui Louche.

Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). Il a préfacé plusieurs livres d’artiste, publie régulièrement des nouvelles et a, par ailleurs, commis un millier d’aphorismes encore inédits.

Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec, Société et Culture.


Chronique asiatique, par Michel Samson…

2 janvier 2012

絆       Kizuna : lien… et obligation !

Gomen nasai ! Je vous demande humblement pardon ! Dérouté par de nombreuses copies à corriger, absorbé par un nouveau texte en cours d’écriture, préoccupé par les mille petites choses à préparer à l’approche du temps des Fêtes, je me suis dérobé à mon obligation de maintenir un lien régulier avec le lectorat du Chat Qui Louche. Moushiwake arimase !  Je m’excuse formellement et avec la plus grande sincérité !

Pour bien manifester l’importance des liens qui nous unissent, ainsi que la respectueuse obligation que j’éprouve à votre endroit, je m’attarderai sur un fait qui, pour anodin qu’il puisse paraître, n’en révèle pas moins l’impérieuse nécessité nippone de lier, relier et maintenir sa cohésion sociale à travers le langage même.

Lors d’un vote populaire (500,000 répondants) le kanji kizuna (絆: lien, obligation) a été choisi comme l’idéogramme de l’année 2011 au Japon, laissant derrière lui les kanji désignant vague, tremblement ou encore désastre, tous pressentis pour s’approprier la première place du concours de cette année particulière, marquée par la triple catastrophe qu’on sait. Avant d’aller plus loin, précisons que ce kanji est composé de deux idéogrammes distincts : celui de gauche signifie fil (糸) alors que celui de droite signifie moitié, demi (半). La conjonction de ces deux radicaux entraîne les concepts de lien et obligation (et parfois même ancrage).

Bien entendu, les médias francophones ont insisté sur le caractère rassembleur d’un tel choix, soulignant le sens de « lien » présent au cœur de nombreuses expressions japonaises : lien d’amitié, lien d’affection, lien d’amour et, bien sûr, lien de parenté. Kizuna permet de lier les Japonais entre eux, de réaffirmer leur solidarité indéfectible, de mentionner la cohésion familiale ébranlée par les multiples sinistres, d’accentuer la volonté de tous d’habiter encore et toujours cet archipel soumis à d’impitoyables forces telluriques. On ne peut qu’admirer cette force de caractère de la civilisation japonaise et ce courage extraordinaire représentés par ce magnifique kanji : .

Mais il est une autre signification de kizuna dont, pour je ne sais trop quelle raison, les médias francophones ont ignoré la pertinence : s’utilise aussi pour évoquer l’« obligation ». À mon avis, ce concept se révèle crucial afin d’appréhender la véritable nature des liens évoqués plus avant : liens d’amitié, d’affection, d’amour et de sang relèvent aussi de l’obligation, et d’en estomper cette particularité entraîne une compréhension incomplète et, disons-le, plutôt naïve du tissu social nippon. Ces sentiments, pour être acceptés, voire tolérés, doivent se conformer à de nombreuses règles sociales qui en encadrent les excès et en jugulent les débordements possibles.

Le caractère kizuna, lien et obligation, demeure un concept essentiel à saisir pour qui cherche à pénétrer le quotidien des Japonais : à l’instar du kanji qui nous occupe, tout y est placé sous l’empire du sens dual, et ne s’arrêter qu’à un côté des choses ne nous apprendra rien à propos de l’équilibre subtil qui préside à la nature nippone.

C’est sous l’auspice de ce kanji  que je vous souhaite à toutes et tous un très joyeux Noël et un Nouvel An plein d’heureuses promesses. Quant à moi, s’il est une résolution que je devrai prendre à l’aube de l’année qui vient, c’est de me ramener davantage à ce fameux kizuna et vous fréquenter avec plus de régularité !

Notice biographique :

Michel Samson nous parle bimensuellement de voyages et d’Asie… dans ses Chroniques asiatiques
Il est est né et a grandi à Arvida. Après un bac en Littérature française à l’UQAC, il a poursuivi des études littéraires (maîtrise) à l’université Laval. Les hasards de la vie ont fait qu’à vingt-quatre ans, il se retrouve enseignant au collégial. C’est un passionné du métier. Très vite il lui est apparu que parler de littérature à ses élèves demeurait insuffisant si la pratique ne l’accompagnait pas. Ateliers d’écriture, cours de production littéraire et d’écriture dramatique se sont donc succédé. Il a également collaboré à l’écriture de plusieurs pièces de théâtre pour différents organismes et touché à la mise en scène. Si de nombreux facteurs ont contribué à forger son style (travailler avec les étudiants, assumer la tâche de maître de jeux de rôles, etc.), les voyages se sont avérés un puissant déclencheur du besoin d’écrire : par le biais du journal de voyage d’abord, mais surtout par l’élaboration de textes subséquents afin de figer les souvenirs, un peu à l’imitation du photographe qui fixe l’instant sur un support. Voyages en Europe et, surtout l’exploration d’une Asie qui le fascine, où il se sent chez lui. C’est ce monde lointain qui fraie son chemin à travers ses mots, comme malgré lui. Il se considère un intermédiaire privilégié d’une autre façon d’être, de penser et de se réaliser : au lecteur le soin d’y trouver un sens, le sien, et de le plaquer sur des mots qui maintenant lui appartiennent.
Il a publié Ombres sereines, un magnifique recueil de récits immobiles à la Grenouille bleue, en 2009.  Cet ouvrage lui vaudra d’ailleurs le Prix de la catégorie découverte, au Salon du Livre (SLSJ) en 2010.  Et il vient de publier Le livre des dragons noirs aux Éditions Porte-Bonheur.

Il tient également un blogue de haute qualité dont voici l’adresse :http://ombressereines.wordpress.com/


Chronique urbaine par Jean-François Tremblay…

14 novembre 2011

La culture en région et suggestion de lecture…

La question qui me préoccupe le plus depuis septembre, depuis que ma copine occupe un poste d’enseignante dans une université ontarienne au cœur d’une ville d’environ 75 000 habitants, est la suivante : quand irai-je la rejoindre ?

Ayant choisi Montréal il y a quatre ans comme mon lieu de résidence, après une vie entière passée au Saguenay (et un petit détour de quelques années à Québec au tournant du siècle), je ne suis pas prêt, mentalement parlant, à quitter la métropole. Son bouillonnement culturel, la proximité et l’accessibilité de tout ce qui m’intéresse me font adorer la ville.

Malgré cela, je ne souhaite pas une vie amoureuse à distance, pas à long terme du moins. J’aime ma copine, plus que tout, et j’ai envie de bâtir quelque chose de solide avec elle. Nous avons habité pendant près de deux ans ensemble à Montréal, avant qu’elle n’accepte ce poste (qu’elle aurait été folle de refuser), et la vie à deux me manque cet automne.

Ceci dit, l’avantage est que j’ai le temps de m’adonner à mes loisirs, c’est-à-dire lire, regarder diverses séries télé et films, et aller voir une foule de spectacles (autant dans le cadre de mes activités avec Sorstu.ca – critiques, entrevues, etc. – que par simple plaisir personnel).

Si je n’ai pas encore pris une décision concrète quant à mon éventuel départ pour rejoindre mon amoureuse, c’est que la décision est déchirante. Je n’ai pas choisi le mode de vie auquel ce choix m’oblige. L’emploi de ma copine m’oblige, si je veux vivre avec elle (et je le veux),  à quitter mon emploi actuel, mon entourage de Montréal, mes contacts, mes amis, etc., et m’oblige également à adopter un mode de vie que je ne suis pas nécessairement prêt à adopter.

Adieu le foisonnement culturel. Le plus important festival de musique de cette ville est un festival country…

Se cultiver loin des grands centres, est-ce possible ?

Un article intéressant a été publié dans Le Devoir de dimanche, sous le titre « Choisir la culture ».

En gros, il y est question d’une ville française, Questembert, qui a trouvé la façon d’attirer les gens des grands centres : mettre l’accent sur la culture. La ville a vu ainsi sa population quasiment doubler en une vingtaine d’années.

Questembert investit près de 400 000 euros (environ 550 000 $) par année dans la culture, ce qui est quand même beaucoup pour environ 8000 habitants !

« À Questembert comme à Coaticook, on trouve évidemment les mêmes services essentiels, sauf qu’en Bretagne la culture en fait partie, ce qui est encore loin d’être le cas au Québec. »

L’article fait des comparaisons avec le Québec et Coaticook en particulier, qui compte 10 000 habitants. Deux villes de même envergure, deux mentalités différentes.

Je lisais ceci et je repensais à ma situation…

C’est quand même au Saguenay que je me suis cultivé. De surcroît, dans une ville de 75 000 habitants (Jonquière). C’est là que j’ai fait mon éducation, que j’ai commencé mes études, que j’ai eu accès à divers livres, que j’ai fait mon éducation cinématographique (en grande partie grâce au club Vidéogie du boulevard Harvey, aujourd’hui fermé, où j’ai passé mon adolescence à louer tout ce qui me tombait sous la main).

C’est au Saguenay que je suis devenu ce que je suis, pas à Montréal. Montréal me permet de parfaire ma culture, de l’élargir, car les ressources sont immenses, mais les bases de cette culture furent posées en région.

Alors, de quoi ai-je peur en hésitant à aller rejoindre ma copine ?  De perdre tout contact avec le monde culturel ?  À l’ère d’Internet, moi qui travaille chaque jour dans la création de sites web, moi qui suis allé sur Internet pour la première fois en 1995 et y ai plongé tête première, je devrais savoir mieux que quiconque que la culture est plus accessible que jamais à notre époque.

Alain Brunet mentionnait ce week-end que EMI venait de tomber, et ce à cause des changements imposés à l’industrie du disque par l’ère numérique. Mais si ce n’était de ces changements, nous, consommateurs, n’aurions pas accès à toute cette musique qui est aujourd’hui disponible. Depuis une dizaine d’années, j’ai écouté plus de musique qu’au cours du reste de ma vie. Ça déborde de partout sur le web. On n’a qu’à tendre l’oreille, des musiques de partout dans le monde et de tous les genres sont à notre portée. Je vois avec positivisme la chute des grands de l’industrie du disque.

La culture se mondialise, elle se démocratise, elle est partout. Elle n’est pas exclusive aux grands centres. Et ce, en grande partie grâce à Internet.

Alors je me demande bien de quoi j’ai peur en hésitant à quitter Montréal…

Anecdote typique de notre époque 

J’étais samedi soir au spectacle donné par Jon Anderson et Rick Wakeman (ancien chanteur et claviériste du groupe Yes) au Théâtre St-Denis. À la table des marchandises, on vendait plusieurs CDs des deux artistes. Un homme prend dans sa main un CD de Wakeman pour l’examiner, et c’est alors qu’un autre homme lui adresse la parole et lui dit :

— C’est très bon ce disque

— Ah oui ?  Vous l’avez acheté ?

— Non, je l’ai downloadé.

 Noir Azur

Je me permets un peu de publicité pour un ami auteur, Dave Côté.

Publié cet automne chez Les Six Brumes, le roman postapocalyptique existentiel Noir Azur raconte l’histoire de Ryle, né au beau milieu d’une conversation, sans souvenirs ni amis. Il cherche, tout au long du roman, à comprendre le pourquoi et le comment de son existence, basant ses décisions sur l’instinct alors qu’il cherche à en savoir plus sur lui-même.

Premier roman d’un auteur qui est aussi l’un de mes bons amis (nous avons tous les deux obtenu notre diplôme en 2007 – bac. Interdisciplinaire en Arts de l’UQAC), qui a déjà publié des nouvelles dans des revues, dont Solaris ; il s’agit d’un récit palpitant, qui se lit très rapidement et qu’on peine à déposer une fois commencé.

L’histoire ne réinvente rien, on demeure en terrain connu, mais la plume est assurée. Le ton n’est jamais trop lourd, au contraire, une certaine légèreté s’en dégage. De petites touches d’humour ici et là agrémentent le récit. Le dialogue intérieur du personnage principal est des plus intéressants, mais ce qui m’a le plus captivé, ce sont les flashs que le protagoniste semble avoir d’un passé fragmenté. Imprimés en italique, ces flashs sont d’une grande beauté, d’une belle poésie, et m’ont beaucoup touché.

Évidemment, mon opinion est biaisée, vu ma proximité avec l’auteur, mais je vous assure que ce livre se dévore avec plaisir. Il importe peu d’aimer la science-fiction, vous y trouverez sûrement votre compte, que vous soyez amateur ou non. On y décèle ici et là les signes d’une première œuvre, une certaine naïveté qui fait sourire, mais cet ouvrage promet.  Il déborde de créativité.

Notice biographique

Jean-François Tremblay est un passionné de musique et de cinéma.  Dès un très jeune âge, il a fait ses études collégiales en Lettres, pour se diriger par la suite vers les Arts à l’université, premièrement en théâtre (en tant que comédien), et plus tard en cinéma.  Au cours de son Bac. en cinéma, Il découvre la photographie de plateau et le montage, deux occupations qui le passionnent.  Blogueur à ses heures, il devient en 2010 critique pour Sorstu.ca, un jeune et dynamique site web consacré à l’actualité musicale montréalaise.  Jean-François habite la métropole depuis 2007.   Il tient une chronique bimensuelle au Chat Qui Louche.


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