Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

3 octobre 2013

Le grain de Terre

  

Terre au loin sous les anneaux de Saturne

Où étiez-vous le 19 juillet dernier ?  Au travail ?  En vacances, chez vous, au chalet, sous d’autres cieux ?  Vous ne vous en souvenez pas ?  Eh bien, moi, je vais vous le dire où vous étiez !  Regardez la photographie ci-contre.  Vous étiez là, sur ce minuscule point de lumière, juste au-dessus de la flèche.  Sur la Terre !

Pas de truquage.  Une photo de notre planète à partir d’un point de vue inédit, unique, tout près de Saturne et de ses mythiques anneaux à 1400 millions de kilomètres de nous.  Cliché saisi par la sonde Cassini avec un appareil datant des années 1990 (la sonde nous a quittés en 1997) et rendu public par la NASA.  Imaginez : en zoomant à l’infini, nous pourrions nous y observer dans le bouchon de circulation, sur le terrain de golf ou à la plage.  De quoi se sentir petit.

L’univers est immense, et nous sommes minuscules, des grains de sable agités et belliqueux dans la jungle florissante et paisible de la nature.  Nous regardons le ciel, n’y remarquons que quelques fades nuages glissant sur une coupole bleu uniforme, nous croyons que la limite du monde est là, juste au-dessus de notre tête.  Dans son poème Le Couvercle, Charles Baudelaire a écrit : « Le Ciel !  Couvercle noir de la grande marmite où bout l’imperceptible et vaste humanité. » Inconscients de notre insignifiance dans l’univers, présumant de la suprématie de notre état, nous forgeons un quotidien égoïste, trop souvent au mépris de l’autre.  « Le néant, c’est l’univers sans moi. » écrivait le poète et écrivain français, André Suarès.  Nous vivons notre propre univers, un microcosme passager, fragile, indécis, restreint, pendant que l’univers s’éternise dans la cohérence et l’ordre.  « Il n’existe que deux choses infinies, l’univers et la bêtise humaine… mais pour l’univers, je n’ai pas de certitude absolue. » ironisait Albert Einstein.

L’humanité est bête.  Son désordre étonne puisque sa raison lui attribue des avantages irréfutables.  Bernard le Bovier de Fontenelle disait : « Si la raison dominait sur terre, il ne s’y passerait rien. » Sans aucun doute !  Quelle sérénité ce serait !  En lieu et place, le gâchis est manifeste, un fatras que l’humanité s’ingénie à infliger à la nature, si ordonnée, si harmonieuse.  Motivée par sa propre jouissance, elle fait fi de son insignifiance, ne communique plus avec ce qui la dépasse.  Pourtant, il suffit de si peu.    « Je ne puis regarder une feuille d’arbre sans être écrasé par l’univers. » témoignait Victor Hugo.  Pendant ce temps, l’univers insondable se rit de l’humanité.  Pourquoi s’intéresserait-il à un grain de lumière dans l’immensité ?  « L’avenir de l’humanité n’a d’intérêt que vu d’en bas », disait le grand dramaturge Bertolt Brecht.

Nous sommes humains !  Êtres prodigieux, doués de raison.  Mais limités, imprévisibles.  Nous sommes des électrons libres dans l’infini.  Retrouvons notre orbite, participons à l’Harmonie, avant qu’Elle nous néantise.

Et pour les nombrils du monde incrédules : scrutez le point lumineux sur le cliché.

Vous apercevez-vous ?

Source : http://sciencesetavenir.nouvelobs.com/espace/20130723.OBS0679/en-images-la-terre-vue-depuis-saturne.html

© Jean-Marc Ouellet 2013

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

17 novembre 2012

Le Dieu de la science I : Le Dieu des savants

 

Pierre-Simon de Laplace entra.

̶   Comment ! s’exclama Napoléon.  Vous donnez les lois de toute la création et vous ne parlez pas une seule fois de l’existence de Dieu !

Le savant lève les yeux.

̶  Sire, je n’avais pas besoin de cette hypothèse.

Dans son Traité de mécanique céleste, Laplace, à l’aide des mathématiques, organise les connaissances du XVIIIe siècle sur le mouvement des planètes et des satellites.  Pour lui, le monde est une machine gigantesque régie par les lois de Newton.  À l’époque, cette réplique est interprétée comme de l’athéisme.  Or, elle ne renie aucune foi.  Il n’a tout simplement pas besoin de surnaturel pour rafistoler une théorie.

Depuis des siècles, depuis l’Inquisition, depuis Galilée, on accuse l’Église de mettre les bâtons dans les roues de la science.  Or, le Vatican fait ses propres recherches, possède son propre observatoire à Gondolfo, la résidence d’été des papes.  Augustin d’Hippone (354-430), alias saint Augustin, suggère de ne pas rejeter sur des bases bibliques les propositions scientifiques démontrées.  Jean-Paul II écrit : « La science peut purifier la religion de l’erreur et de la superstition ; la religion peut purifier la science de l’idolâtrie et des faux absolus. » Plusieurs scientifiques étaient liés à l’Église.  Nicolas Copernic (1473-1543) est chanoine, médecin et astronome.  Il subtilise le centre de l’univers à la Terre.  Comme les autres planètes, elle orbite autour du soleil, description qui, selon lui, révèle une harmonie digne d’un créateur divin.  Le chanoine belge Georges Lemaître (1894-1966), qui sera nommé évêque, est aussi astronome et physicien.  Il dénoue une impasse cosmologique en proposant le premier l’expansion de l’univers à la base de la théorie du Big Bang.  En maintes circonstances, l’Église Catholique a contribué à l’acquisition de connaissances d’ordre naturel, ou les a appuyés.  Dans un article de la revue Études publié en 1911, le père Jésuite Robert de Sinéty déclare à propos de la sélection naturelle de Darwin : « On peut considérer non comme simple hypothèse, mais comme un fait certain que les espèces systématiques actuelles, dans leur ensemble, n’ont pas été créées immédiatement par Dieu telles que nous les voyons, mais se sont formées lentement au cours des siècles par voie d’évolution.  Ce « progressisme » de l’Église catholique du début du siècle rejette le fixisme (le dogme de la fixité des espèces) d’une interprétation littérale de la Genèse.

Depuis le XVIIe siècle, la science revendique son autonomie face à la politique et la religion.  Or, certaines découvertes scientifiques flirtent avec l’expérience religieuse.  Dans l’excellent numéro hors série de la revue Sciences et avenir publié en 2004 et intitulé Le Dieu des savants, numéro que je résumerai ici, John Hedley Brooke, professeur de sciences et de religion à l’université d’Oxford, écrit : « Beaucoup de scientifiques ne se sont pas reconnus dans des traditions religieuses particulières ; ils ont néanmoins débattu des attributs d’une puissance créatrice transcendante au monde naturel. »

Le scientifique peut-il croire en Dieu ?  Dans ce premier texte, nous étudierons le Dieu des savants qui ont marqué nos connaissances.

Francis Bacon (1561-1626), contemporain de Copernic, philosophe, juriste, scientifique et créateur de l’empirisme, sépare la science de la religion et se méfie des exégèses bibliques pour expliquer les phénomènes naturels quand des causes naturelles et immédiates existent.  Bacon ne renie pas Dieu.  Au contraire, pour lui, c’est un Dieu de miséricorde.  Il a créé le monde en accordant la science à l’homme pour que ce dernier puisse dominer sa création et en assure le devenir.

Galileo Galilei (1564-1642), père de la lunette astronomique, l’ancêtre du télescope, confirme l’approche copernicienne, chose qu’on l’oblige à nier sous la persécution.  Dans Letter to the Grand Duchess Christina, Galilée cite le cardinal Baronio : « La Bible nous enseigne comment aller au Ciel mais pas comment le ciel marche. » Le Dieu de Galilée est mathématiques.  La nature est écrite avec le langage des chiffres et ses formes sont géométriques.  La science doit en déchiffrer le code.  Galilée ne croit pas à une séparation complète entre la science et la religion.  Il croit plutôt que les révélations de la philosophie naturelle aident à mieux interpréter les textes sacrés, la raison, « cet instrument céleste, permettant de révéler le caractère divin de la nature ».

Pour Johannes Kepler (1571-1630), science et religion sont fusionnées, l’astronomie, la philosophie naturelle et la théologie ne font qu’un.  La géométrie chrétienne de la Création représente les pensées de Dieu.  Voici sa troisième loi : le carré du temps de l’orbite d’une planète autour du soleil est proportionnel au cube de sa distance moyenne.  L’existence d’un Dieu géomètre se confirme.

Pour René Descartes (1596-1650), mathématicien, physicien, philosophe, célèbre pour sa méthode scientifique, la finitude du moi prouve l’existence de Dieu.  Par mes limites, je n’ai pas pu me créer moi-même.  Il faut donc que l’Être existe vraiment, qu’Il ait engendré cette idée infinie, et l’ait déposé dans mon esprit fini.  Par ailleurs, pour Descartes, la conservation du mouvement découle d’un Dieu immuable qui soutient le monde qu’il a créé.

Le Dieu de Robert Boyle (1627 – 1691) est un artisan habile et attentif au moindre détail, créateur d’un monde merveilleux de beauté révélé par le microscope, « de l’aile de la mouche à l’écaille de poisson », un monde impensable si non planifié, dépassant en beauté, en complexité et en précision tout ce que l’Homme a fabriqué et même imaginé.

Isaac Newton (1643-1727) est philosophe, mathématicien, physicien et astronome.  Son Dieu est présence et activité.  Le monde n’est pas que mécanique, un monde sans Dieu.  Dès 1668, il s’intéresse à l’alchimie, à la théologie, à l’interprétation des textes sacrés, à la chronologie des anciennes civilisations, à la recherche d’un principe vital actif.  Étrangement, dans ses travaux, Dieu semble lointain, presque absent.  Sans prononcer son Nom, il décrit les lois mathématiques qui régissent les phénomènes naturels.  « La force d’inertie est un principe passif, par lequel les corps persistent dans leur mouvement ou dans leur repos […].  Il en fallait nécessairement quelque autre pour mettre les corps en mouvement ; et à présent qu’ils y sont, quelque principe pour conserver leur mouvement. » De la chute d’une pomme aux mouvements des planètes, les mêmes lois immuables pour plusieurs phénomènes réguliers impliquent un monde homogène, un seul monde, un seul créateur qui a réglé avec minutie et finesse le mouvement de chaque planète dans une orbite parfaite.  Plus petite, elle exploserait sur le soleil.  Plus grande, elle s’éloignerait et dériverait dans l’espace.  Pour lui, la créativité de l’homme signe l’existence de Dieu.  « Car le pouvoir qui peut faire advenir des créatures non seulement directement mais par le truchement d’autres créatures est considérablement pour ne pas dire infiniment plus grand. » Dans l’esprit de Newton, l’univers est harmonieux, la nature est la même pour tous, elle est régulière, ordonnée, signe d’une sagesse créatrice visant la stabilité et l’éternité.  L’histoire humaine est toute autre.  Complexe, comblée de divisions, de violences, de conflits, de créations éphémères, incompatible avec le salut.

Joseph Priesley (1733-1804), théologien, pasteur, philosophe naturel, chimiste et physicien, décrit le progrès scientifique comme « le moyen qu’a trouvé Dieu pour extirper erreur et préjudice et pour mettre un terme à toutes les autorités infondées et usurpées, et ce dans le domaine de la religion comme dans celui de la science ». Pour lui, la science et la religion, deux abstractions faussement interprétées, luttent ensemble contre la superstition.

William Paley (1743-1805), théologien naturel britannique est le théoricien de l’horloge.  (Voir prochain texte) « C’est comme si un Être avait fixé certaines règles et, si l’on peut dire, fourni […] certains matériaux ; puis légué à un autre être, en dehors de ces matériaux et de ces règles, la tâche de faire le plan de la création. » Pour lui, un Dieu capable de laisser les choses se produire elles-mêmes est plus avisé que celui qui se contente de créer les choses.

Charles Darwin (1809-1882), naturaliste anglais et père de la théorie de l’évolution des espèces et de la sélection naturelle, s’inspire de la pensée de ses prédécesseurs.  Dieu confie à la sélection naturelle le soin de gérer la création.  Darwin a écrit : « Si un être infiniment plus judicieux qu’un homme […] pendant des millénaires et des millénaires avait dû sélectionner toutes les variations qui tendent à une certaine fin.  […] Par exemple s’il avait prévu qu’un chien conviendrait mieux à un pays produisant beaucoup de lièvres s’il a des pattes plus longues et une vue plus perçante – [alors] il [aurait] produit un lévrier. » Plus tard, Darwin renonce au christianisme, clame son athéisme, non pas à cause de ses découvertes scientifiques, mais plutôt sur des questions existentielles liées à la damnation éternelle, et surtout, à la mort prématurée de sa fille bien-aimée de 10 ans.

James Clerk Maxwell (1831-1879) unifie les équations liées à l’électricité, le magnétisme et l’induction.  Il écrit : « L’égalité exacte de chaque molécule, par rapport à toutes les autres de la même espèce, lui donne […] le caractère essentiel d’un article manufacturé, et dissipe l’idée d’une existence éternelle et d’une self-existence.  […] parce que la matière ne peut être éternelle ni exister par elle-même, elle a dû être créée. » Et il s’assure de préciser : « la science est incompétente pour raisonner sur la création de la matière à partir de rien. »

Albert Einstein (1879-1955), père de la célèbre théorie de la relativité, écrit dans Comment je vois le monde que la religiosité cosmique « consiste à s’étonner, à s’extasier devant l’harmonie des lois de la nature dévoilant une intelligence si supérieure que toutes les pensées humaines et toute leur ingéniosité ne peuvent révéler, face à elle, que leur néant dérisoire ».  Dans Physique et Réalité, il écrit encore : « Que l’ensemble de nos impressions sensibles soit ainsi constitué que la pensée puisse les ordonner (maniement de concepts, création et application de relations fonctionnelles déterminées entre eux, et leur rattachement à des impressions sensibles), c’est là un fait dont nous ne pouvons que nous étonner et que nous n’arriverons jamais à concevoir. » Einstein s’émerveille de l’intelligibilité du monde et de son rapport avec la science : « Derrière tout travail scientifique d’un ordre élevé, il y a certainement la conviction proche d’un sentiment religieux, de la rationalité ou de l’intelligibilité du  monde.  […] L’éternel mystère du monde est son intelligibilité. » […] « La science sans la religion est boiteuse, la religion sans la science est aveugle. » Einstein ne croit pas à un Dieu classique.  Il a plutôt un profond respect pour la nature, un « sentiment religieux cosmique » qui guidera sa quête de réponses aux mystères de l’univers.

Stephen Jay Gould (1941-2002), paléontologue américain, affirme dans Rocks of Ages que « la science peut rendre compte des faits de nature et permettre, grâce à ses constructions théoriques, un certain niveau de compréhension ; mais, sur le plan de la morale et des engagements, la foi religieuse peut inspirer des choix existentiels, ce que la science ne peut faire seule ».

Stephen Hawking (1942 —), célèbre cosmologiste et physicien théorique britannique, défie la médecine et s’entête à survivre à la terrible sclérose latérale amyotrophique.  Quand il suggère qu’avec la théorie du Big Bang, Dieu n’a plus rien à faire puisque la physique quantique offre une explication naturelle de la naissance de l’univers à partir du néant, il ne désavoue pas Dieu, en affirme même l’existence et pense plutôt que « connaître la pensée de Dieu [est] le triomphe ultime de la raison humaine. » Dans Une brève histoire du temps, il doute : « Tant que l’univers aura un commencement, nous pouvons supposer qu’il a eu un créateur.  Mais si réellement l’univers se contient tout entier, n’ayant ni frontière ni bord, il ne devrait avoir ni commencement ni fin : il devrait simplement être.  Quelle place reste-t-il alors pour un créateur ? »

Malgré leurs connaissances, ou à cause d’elles, ces quelques savants éminents à l’esprit ouvert, manipulateurs d’équations et créateurs de théories, humbles devant l’univers, reconnaissent le merveilleux de l’univers et lorgnent le surnaturel.  Petit à petit, d’une théorie à l’autre, d’une application à l’autre, ils réalisent les limites de la science.  Dieu devient la solution.

Au début de ce billet, je posais cette question : le scientifique peut-il croire en Dieu ?  Bien sûr !  On peut très bien être physicien et croire en une Force suprême sans jamais user de métaphysique dans les théories physiques.  La science et la théologie ne parlent pas de la même chose.

Existe-t-il des preuves scientifiques de l’existence de Dieu ?  Nous en reparlerons à notre prochaine rencontre.

Citations tirées de Le Dieu des savants, numéro hors série, Sciences et avenir, 2004.  L’essentiel de ce texte en constitue un résumé.

© Jean-Marc Ouellet, 2012

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, puis à Québec. Après avoir obtenu un diplôme de médecine de l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie. Il exerce à Québec. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les  littératures, mais avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, il contribue de quelques semaines de dépannage en région, et s’y accorde un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a paru en avril 2011 aux Éditions de la Grenouillère. Depuis janvier 2011, il publie un billet bimensuel dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Chronique de Québec par Jean-Marc-Ouellet…

8 octobre 2011

La graine de légendes…

Des milliards d’êtres humains ont foulé cette terre, chacun laissant sa trace dans l’histoire. Qu’il le veuille ou non. Dès sa conception, un mort-né bouleverse la vie de ceux qui l’ont chéri. Dans le malheur, sa mémoire se perpétue et change ceux qui restent, qui respirent, marchent et survivent, avant qu’à leur tour, ils meurent. Dans chaque cas, la marque reste. Insignifiante ou historique. Quelques-uns seront des légendes, parfois après leur mort, leur nom se perpétuant à travers les Âges, d’une génération à l’autre. Un être humain naît, il agit différemment, fait quelque chose de particulier, quelque chose d’inédit, qui change la suite de l’histoire. Et on en parle encore, et encore. Alexandre le Grand, César, Jésus, Mahomet, Léonard de Vinci, Mozart, Napoléon et les autres, ont transcendé leur statut humain pour devenir des personnages plus grands que nature. « Une légende, c’est comme un vieil homme avec une canne et que tout le monde connaît ce qu’il faisait », disait Miles Davis. La légende, c’est l’histoire garnie de merveilleux.

Prenons le vingtième siècle. En trois mois à peine, Albert Einstein élabore trois théories de la physique dont la célèbre théorie de la relativité et son illustre E=mc². Encore aujourd’hui, pour la prouver ou l’infirmer, les chercheurs s’arrachent les cheveux. Einstein devient une célébrité mondialement connue, on le reçoit dans les mondanités. En 2011, il symbolise toujours l’intelligence suprême, alors qu’il eut du mal à se trouver un poste de professeur à l’université. Mohandas Karamchand Gandhi, dit Mahatma (grand sage), est considéré comme le libérateur de l’Inde. Par-dessus tout, son discours de non-violence le rend célèbre. Ou était-ce son habillement et sa manière traditionnelle de vivre, à l’ère du modernisme ?

Le mal aussi crée des légendes. Malgré la mort de millions de personnes sous son règne, encore aujourd’hui, Hitler compte ses adeptes.

Les légendes se démarquent dans leur domaine. En associant le taoïsme chinois au comportementalisme américain, Bruce Lee changea la perception des gens envers les arts martiaux. Par son jeu et sa présence à l’écran, John Wayne contribua à l’essor du western. Que dire de Churchill, Bob Marley, Elvis Presley, John F Kennedy, Marilyn Monroe…

Ces personnes voulaient-elles devenir des légendes ? Quelques-unes, peut-être. Ils voulaient surtout laisser leurs marques. Comme les autres. Comme chacun. Pourquoi, après toutes ces années, parlons-nous d’eux, et non pas de monsieur ou madame Untel, de nulle part ? Henri Beyle Stendhal écrivait : « La plupart des hommes ont un moment dans leur vie où ils peuvent faire de grandes choses. » Il faut d’abord croire, croire en ses convictions, croire en soi. Puis, il faut être aux aguets de l’occasion. Quand elle se présente. Rares sont ceux qui profitent de leur chance. Les légendes réalisaient-elles vraiment que telle ou telle action basculerait leur nom dans la postérité ? Pas sûr. Ils ont fait ce qu’il voulait faire au moment où cela devait être fait. Les autres n’ont pas osé.

Trois éléments contribuent aux grandes œuvres : convictions, audace, détermination. Un proverbe chinois dit que quand le vent souffle fort, certains construisent des murs, d’autres des moulins à vent. La plupart des gens s’encabanent dans leur zone de confort, ou retraitent au premier échec. Les grands osent. Johann Wolfgang Von Goethe écrivait que « l’audace contient du génie, du pouvoir et de la magie. » Le génie de profiter des impondérables, le pouvoir de persévérer, la magie d’être à la bonne place au bon moment. Et ils travaillent. Sans relâche. Ils se battent envers et contre tous. Ils voient ce que les autres ne voient pas. Pour paraphraser Henry Ford, le constructeur d’automobiles : rien n’est impossible pour ceux qui voient loin.

La future légende ne veut pas devenir légende. Elle défend ce qu’elle est et donne ce qu’elle a, du mieux qu’elle peut. Elle profite de ses forces et pondère ses faiblesses. Humaine, elle s’affranchit du doute et de la solitude. La légende est butée. Les moqueries redoublent son ardeur. Et lorsque la bataille achève, lorsque les sceptiques sont confondus, lorsque le rêve se réalise, parfois après sa mort, ennemis et alliés s’unissent et acclament le génie, son audace et sa ténacité, sources de la mémoire collective.

Notice biographique :

Jean-Marc Ouellet a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, puis à Québec. Après avoir obtenu un diplôme de médecine de l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie. Il exerce à Québec. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les  littératures, mais avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, il contribue de quelques semaines de dépannage en région, et s’y accorde un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a paru en avril 2011 aux Éditions de la Grenouillère. Depuis janvier 2011, il publie une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche

 


Chronique de Québec de Jean-Marc Ouellet…

24 septembre 2011

Un instant, s’il vous plaît

 « Profite du moment présent », dit l’adage. Belle évidence. Or, quand sommes-nous vraiment « présents » ? Pour la plupart, l’instant n’est qu’un simple passage complètement inaperçu. Sans cesse, nous pensons au passé, ou à l’avenir. Nous agissons avec notre mémoire. Nous travaillons, souvent sans trop y penser, avec l’expertise acquise, en se remémorant la gaffe de la veille, ou le voyage de la semaine suivante. Nous arrivons à l’épicerie sans nous souvenir du chemin parcouru, sans avoir remarqué notre meilleur ami croisé sur notre route, le regard triste, absorbé par sa dernière chicane ou le malheur d’un proche. Nous arrivons à l’épicerie, pressés, nous faisons les emplettes, nous dépassons des clients plus lents, nous ne remarquons pas le sourire de la caissière et nous fuyons l’endroit, tout aussi distrait qu’à l’arrivée. Quand goûtons-nous vraiment au moment présent, à l’instant ? Quand nous arrêtons-nous en entrant dans l’épicerie, pour nous dire comment la vie est extraordinaire, comment ce moment est précieux, comment c’est merveilleux d’être là, en ce lieu de victuailles, que nous dégusterons plus tard? Quand nous arrêtons-nous le matin, en sortant de chez soi, pour humer le vent et la pluie, avant de gagner notre pitance ? Pourtant, nous aurions pu être malades et alités, et regarder la vie par une fenêtre.

L’instant est court. L’instant est unique. Antoine de Rivarol, journaliste et écrivain du 18e siècle, disait que « Le temps est le rivage de l’esprit ; tout passe devant lui, et nous croyons que c’est lui qui passe. » Hier, maintenant et demain ne sont que le miroir de nos limites sensorielles. Le temps est un non-sens. Albert Einstein disait : « La distinction entre le passé, le présent, le futur n’est qu’une illusion, aussi tenace soit-elle. »

Le temps est une infinité d’instants. À chaque milliardième de seconde, l’univers n’est plus le même. Mais le temps se souvient. L’Univers s’enrichit des événements de chaque instant. Et ce dernier passe au suivant, comme les marches d’un escalier qui mènera aux niveaux supérieurs de la conscience. La Sagesse chinoise dit ceci : « L’infini réside dans le fini de chaque instant ».

Très souvent nous pensons mal, parce que nous pensons trop. Les pensées encombrent le mental. Frédéric Dard (dit San Antonio) disait : « Vis ton présent, et laisse ton passé pour l’avenir. » Profiter du moment présent, c’est délivrer notre vie de l’inutile, c’est nous affranchir des ruminations qui nous hantent : destinés à posséder plus, à devenir socialement plus,  à aller plus vite, plus loin, plus haut, à avoir plus que l’autre. Plus, plus, plus… Vivre l’instant, c’est apprivoiser le présent, sans rien attendre, sans évoquer le passé, sans imaginer l’avenir.  C’est évacuer les images, les souvenirs, les jugements de valeur, les choix, les assentiments, les rejets, les paroles, les non-dits, les comparaisons entre alors et maintenant. C’est s’affranchir des mémoires accumulées, des résidus du passé.

Vivre le présent nous connecte à l’esprit en nous. C’est rester là, muni de toutes les énergies d’une attention naturelle, totalement concentrée dans le fugace passage de l’Instant présent. C’est vidanger son esprit, vers la plénitude de l’instant. Friedrich Hebbels a dit : « Il ne faut pas regretter que tout soit éphémère ici-bas, parce que l’éphémère, lorsqu’il nous touche vraiment, éveille en nous l’impérissable. » Vivre l’Instant, c’est être soi-même et à-soi-même. C’est faire converger les énergies de la conscience dans l’instant présent. L’Éveil du Moi absolu dans l’Univers.

Beau contrat ! Pour cause. Se sentir soi-même et se souvenir de soi-même n’est pas chose facile. Pour la plupart du moins. Le philosophe roumain Emil Cioran écrivait : « Point d’instant où je n’en revienne pas de me trouver précisément dans cet instant-là. ». Rares sont ceux qui ont cette chance. Pour vivre le présent, il faut purger l’esprit de toute pensée. Alors, et alors seulement, on se sent vraiment soi-même. Tenter de ne penser à rien est tellement difficile, qu’en soi, l’expérience est enrichissante. Elle en dévoile la difficulté. Et comme toute pratique difficile, elle demande de l’entrainement. Méditation, yoga, arts martiaux et prière ne sont que quelques techniques ou disciplines qui exercent l’esprit à se détacher du passé et de l’avenir. Or, chaque jour, chaque instant, il est possible de s’arrêter sur le moment qui se présente à nous. Parfois, le Beau nous y aide. Une œuvre d’art, un coucher de soleil, les diamants d’un cours d’eau éclairé par le soleil, etc. Le Beau nous porte vers l’instant, vers la « momentanéité » de l’univers. Le mérite est mince. Il en est autrement dans le quotidien des gestes de tous les jours. Qui de nous, franchissant une porte, arrête le cours de ses pensées pour se dire « je suis là, c’est bien Moi, à cet instant même, qui marche, qui passe cette porte » ? Pourquoi ne pas tenter l’expérience en pliant le linge ou en lavant les chaudrons ?

Sornettes ! clameront certains. En fait, ces « idioties » ne conviennent pas à tous. Seuls les « idiots » comprennent.

  Notice biographique :

Jean-Marc Ouellet a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, puis à Québec. Après avoir obtenu un diplôme de médecine de l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie. Il exerce à Québec. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les  littératures, mais avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, il contribue de quelques semaines de dépannage en région, et s’y accorde un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a paru en avril 2011 aux Éditions de la Grenouillère. Depuis janvier 2011, il publie une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Chronique de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

27 mai 2011

L’air d’un préjugé

 C’était un matin de semaine, un matin de congé, de lendemain de garde. Une sonnerie m’annonce que quelqu’un est à la porte. Je l’attendais. C’est l’électricien, venu régler mon petit problème de son domaine. Je lui ouvre et l’invite à entrer. Sans sa ceinture bourrée de l’attirail de circonstance, je n’aurais pu deviner que ce trentenaire était spécialiste en courant dans les fils électriques. Il aurait bien pu être aussi un menuisier, un laitier ou un avocat en vacances. Je reconduis l’homme vers l’atelier, là où les électrons de la maison se rejoignent. En entrant dans la pièce, il me pose cette question qui me transforme en statue de chair.

—  Vous êtes vraiment médecin ?

Figé, je le toise. Que me veut-il, ce monsieur ? Une consultation rapide ?

— Oui… pourquoi ? que je lui réponds et demande, un peu inquiet.

L’homme est mal à l’aise.

— Euh… bien, c’est votre conjointe qui me l’a dit l’autre jour. Moi, j’trouve que vous n’en avez pas l’air.

C’est certain que je ne porte pas de sarrau à la maison. Et c’est certain qu’avec mes cheveux en broussailles, mes yeux pochés, mon T-shirt percé et mon jeans défraîchi, je n’ai rien d’un intellectuel. Mais travailler dehors, dans la terre, vêtu de mon complet ou de mon uniforme vert de salle d’opération, ne me dit rien qui vaille.

─ Et d’après vous, ça a l’air de quoi un médecin ? que je lui rétorque, de mon air bourru de lendemain de garde. Et un électricien, ça ressemble à quoi ?

Je pense qu’il n’aime pas mes questions. Il se retourne et se concentre sur la boîte électrique. Sa facture est salée.

Cette anecdote m’a fait réfléchir. D’abord, sur ma manière d’aborder les gens après 21 heures de travail consécutives. Mais ça, en général, on me le pardonne.

Par contre, ma cogitation s’est surtout concentrée sur un autre élément. Comment les gens en viennent-ils à développer des idées préconçues sur telle ou telle chose ? Jadis, je me rasais les cheveux. Je semblais « sévère ». Maintenant, je laisse pousser les mêmes cheveux, sur la même tête, et j’ai l’« air rebelle ». Pourquoi un docteur ne pourrait-il pas porter un jeans défraîchi dans l’antre de son logis ? Pourquoi aurais-je déjà consommé des poisons vu que dans ma vie, j’ai assisté à des dizaines de spectacles de hard rock ou de heavy métal, de la musique de drogués comme certains disent ? Pourquoi un paralytique cérébral accablé de mouvements involontaires ne pourrait-il pas être un génie ? Pourquoi un Noir, un juif, serait-il si différent de l’être humain que je suis ? Pourquoi ?

D’où vient le préjugé ? Inné, ou acquis ? Dans sa définition, Le Petit Robert affirme que « cette croyance, cette opinion préconçue, est souvent imposée par le milieu, l’époque, l’éducation. »  Donc, acquis. Mais sûrement, une base individuelle existe, un terreau fertile propice au parti pris : l’ignorance. William Hazlitt disait dans Sketches et essais : « Le préjugé est enfant de l’ignorance. » Carlo Goldoni, auteur dramatique italien du 18e siècle, écrivait quant à lui que « qui n’a pas quitté son pays est plein de préjugés ».

Quand nous ignorons, nous avons la fâcheuse manie de puiser dans notre vécu les données qui guideront notre interprétation d’une chose, d’une situation. Et souvent, nous nous trompons. Et si notre vécu est dérisoire, nous utilisons celui des autres, accroissant d’autant le risque d’erreur. Notre opinion s’éloignera davantage de la vérité, la déformera, la niera. Victor Hugo disait : « Les plus petits esprits ont les plus gros préjugés. »

Hélas, les préjugés rongent l’esprit, s’incrustent, et s’étendent dans tous les aspects de la vie. Dans De la recherche de la vérité, Nicolas de Malebranche, philosophe et théologien français, écrivait que « les préjugés occupent une partie de l’esprit et en infectent tout le reste. » Résultat : l’apriorisme, la conjecture et la présomption deviendront un mode de vie.

Le préjugé est tenace. Terriblement tenace. Selon Albert Einstein, il serait « plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé. » Quand tu penses l’avoir évincé, il se terre, il s’imprègne dans l’inconscient, prêt à rebondir lorsque les circonstances deviennent favorables. Comme disait Frédéric II : « Chassez les préjugés par la porte, ils rentreront par la fenêtre. »

Plus virulent qu’un virus grippal, il est tout aussi contagieux. Il s’étend d’un individu à l’autre, d’une communauté à l’autre, d’un peuple à l’autre, d’une civilisation à l’autre. Ambrose Bierce, écrivain et journaliste américain né en 1842, définissait le préjugé comme une « opinion qui se promène sans moyen visible de transport », alors que Jean-Jacques Rousseau écrivait : « la raison, le jugement, viennent lentement, les préjugés accourent en foule. »

Or, les préjugés blessent, les préjugés tuent. Les préjugés inassouvis mènent à l’intolérance, au harcèlement, au racisme, et… aux atrocités.

Dans le mot préjugé, on découvre le verbe juger. Juger, avant de savoir. Ne jamais juger serait donc le vaccin du préjugé. Beau contrat !

Le chercheur de vérité fuit le préconçu, il écoute son cœur, pas le ouï-dire. Il regarde l’autre et oublie ce qu’il voit. Il se concentre sur l’au-delà de la personne, des apparences. Le dehors ne lui dit rien. L’évidence l’effraie. Il s’intéresse à connaître, à comprendre. Il se penche sur l’intérieur, l’invisible, là où cela importe, l’âme. Et qui sait quel trésor il découvrira ?

(Citations tirées du site EVENE.)

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet est né le 11 septembre 1959 à Rimouski.  Il a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, jusqu’à l’âge de 15 ans. Après l’obtention de son diplôme de médecine à l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie à Québec, puis à Montréal. Il a amorcé sa carrière médicale à Saint-Hyacinthe, pour la poursuivre ensuite à Québec jusqu’à ce jour. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les littératures, mais il avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, pour du dépannage, il passe plusieurs semaines en région ; il s’accorde alors un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a été lancé en avril au Salon du livre de Québec (Éditions de la Grenouillère).  Il est chroniqueur régulier pour le magazine littéraire Le Chat Qui Louche où il avait déjà publié des nouvelles.


Chronique de Québec, par Jean-Marc-Ouellet…

30 avril 2011

L’au-delà du réel

     La réalité est perfide. Nous rencontrons des inconnus aux traits familiers, nous ressentons le déjà-vu, nous sommes heureux pendant qu’un proche subit les affres du destin, ou, à un autre moment, nous pressentons un malheur qui se produira. Nous affrontons le quotidien comme on peut, avec les sens que nous avons, des sens trompeurs. Ce sont eux qui nous guident vers la vérité, mais justement, ces instruments, aussi incroyables qu’ils puissent être, nous informent mal sur ce qui existe réellement. Le cinéaste David Lynch disait : « Ce qui effraie le plus, ce n’est pas la réalité, mais ce qu’on imagine qu’elle cache. » Nous voyageons sur un nuage d’incertitudes. Paradoxalement, notre vie y gagne peut-être en quiétude.

    La réalité est fourbe, et partielle. Elle nous joue des tours. On croit voir, on croit entendre, et on juge. Puis un jour, dérouté, on apprend que la vérité se situe ailleurs. Et comme la réalité nous est propre, la mienne diffère de la vôtre. Selon l’auteur suisse, André Baechler, « la réalité n’est autre que le reflet de notre regard ». Ou comme le dit Philip Dick, auteur américain spécialisé dans la science-fiction : « la réalité n’est qu’un point de vue ». Des gens ressentent des choses que d’autres ne soupçonnent même pas. Des animaux sont sensibles à des éléments de la réalité qui nous sont étrangers. De quoi nous rendre jaloux. Et humble. Nous affrontons une réalité insolite. Comme un rêve éveillé. Tahar Ben Jelloun, dans L’Auberge des pauvres, disait ceci : « On est tous à la recherche d’une frontière, une ligne claire entre le rêve et la réalité. »

    Je suis médecin-anesthésiologiste. Depuis des années, je manipule les consciences. J’injecte une substance qui agit sur l’état d’éveil. Ce dernier s’atténue à ma guise, s’émousse, pour s’éteindre si je le veux, avant de resurgir de je ne sais où. Pourtant, alors que le patient dort, oubliant le mal qui le tourmente, ou qu’on lui fait, engloutissant une parcelle d’existence dans un quelconque état neurovégétatif contrôlé et encore mal compris, la réalité est là, subsiste, pour les autres, pour les proches qui attendent, pour moi qui prends la relève. Pendant ce temps, la terre tourne, les humains s’affairent, comme les fourmis.

    Plusieurs se sont questionnés sur la nature de la réalité. Platon disait qu’elle est « à la fois multiple et une, et dans sa division elle est toujours rassemblée ». Pour le philosophe français Gaston Bachelard, « le temps n’a qu’une réalité, celle de l’instant… le temps est une réalité resserrée sur l’instant et suspendue entre deux néants ». Dans L’effet Glapion, Jacques Audiberti écrivait : « La vie est faite d’illusions. Parmi ces illusions, certaines réussissent. Ce sont elles qui constituent la réalité. »

    Évidemment, la science s’est penchée sur la nature de la réalité. La compréhension de l’univers et de la mécanique quantique est même peut-être son Graal, sa plus grande quête. Albert Einstein écrivit ceci : « Je désire connaître comment Dieu créa ce monde. Je ne suis pas intéressé par tel ou tel phénomène, par le spectre de tel ou tel élément. Je désire connaître Ses intentions, le reste n’est que détails. »

    Longtemps, on se demanda ce qui formait la matière. On détermina que l’atome était son ultime élément. Ensuite, on découvrit que celui-ci était constitué de particules encore plus élémentaires : l’électron, le noyau formé de protons, de neutrons. On observa plus tard que ces micro-éléments agissent comme des particules, mais qu’à certains moments, elles manifestent des caractéristiques ondulatoires. Pour expliquer leurs attributs bizarres, on supposa les quarks, les supercordes. Des théories complexes, difficiles à vérifier, et ce, pour cette simple raison : le seul fait d’observer ces particules en modifie les caractéristiques. Ce que l’on voit ne serait en fait que le résultat du hasard et de l’effet de l’observation. Pendant longtemps, les physiciens considérèrent cette théorie comme une vérité établie. Mais certains doutaient. Einstein ne put s’y résoudre : « J’aime penser que la Lune est là même si je ne la regarde pas. »**

    La réalité est un jeu d’illusions et de désillusions, un jeu de perceptions et de déceptions. La conscience perçoit la réalité. L’inconscience la nie. La réalité, c’est l’évolution de la conscience à travers le continuum temporel. Nous vivons chaque jour, nous subissons les aléas du temps et de notre condition humaine, et nous sentons bien qu’au-delà du réel, quelque chose se produit, nous échappe. Nous pouvons le contester, ou espérer. J’aime m’offrir des options. J’ouvre une porte pour la transcendance, et en même temps, je profite des surprises de la vie. Comme le dit Woody Allen dans son livre Destins tordus : « Je hais la réalité, mais c’est quand même le seul endroit où se faire servir un bon steak. »

Citations tirées du site EVENE, sauf ** tirée de Quantum, Einstein, Borh and the great debate about the nature of reality, Manjit Kumar,

Pour les amoureux de physique et de réalité, voici deux excellentes sources d’informations, des livres sérieux, merveilleusement vulgarisés. Malheureusement, en anglais seulement.

   The fabric of the cosmos, Brian Greene,2004, Alfred a. Knopf Editions, 2008

Quantum, Einstein, Bohr and the great debate about the nature of reality, Manjit Kumar, W.W. Norton & company, 2009

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Jean-Marc Ouellet est né le 11 septembre 1959 à Rimouski.  Il a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, jusqu’à l’âge de 15 ans. Après l’obtention de son diplôme de médecine à l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie à Québec, puis à Montréal. Il a amorcé sa carrière médicale à Saint-Hyacinthe, pour la poursuivre ensuite à Québec jusqu’à ce jour. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les littératures, mais il avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, pour du dépannage, il passe plusieurs semaines en région ; il s’accorde alors un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a été lancé en avril au Salon du livre de Québec (Éditions de la Grenouillère).  Il est chroniqueur régulier pour le magazine littéraire Le Chat Qui Louche où il avait déjà publié des nouvelles.


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