La Beauté (2)…
Il existe des paliers qualitatifs aux manifestations de la beauté. Des paliers qui expriment leur potentiel de durée. Il y a des manifestations de la beauté qui durent plus que d’autres, impressionnent positivement plus que d’autres. Notre personne est une grande roue. Plus nous nous avançons vers notre centre, plus nous nous approchons de notre moyeu divin par cette voie royale qui conduit au supramental en soi, plus le temps s’absente, plus tout ralentit. Plus la manifestation de la beauté que nous sommes à élaborer ressemble à notre principe directeur ou en découle, plus elle durera, plus elle influera sur le cours des choses, plus elle fleurera l’éternité. D’autre part, plus la manifestation se situe à un niveau de temporalité aiguë, plus le temps la charroiera avec hâte hors des consciences individuelles et de la conscience collective.
(Propos pour Jacob)
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Une autre des caractéristiques de la beauté est d’être inépuisable. Chacun peut y puiser, en user et en abuser sans en priver ses voisins.
(Propos pour Jacob)
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La beauté est la voie royale vers l’accomplissement éthique pour les individus et elle est la principale force d’attraction qui inspire l’effort humain vers le parachèvement de l’humanité.
(Propos pour Jacob)
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En toute justice, je me dois de rectifier un peu mon tir (et mon dire) : lorsqu’il abandonne la corsetterie pour parler peinture, Mallarmé devient sublime. Il adore les impressionnistes et sait défendre la beauté contre les utilitaristes de tous crins : décorateurs et moralistes. La beauté n’a pas à s’excuser de son apparente inutilité. Elle est. On l’aime. C’est là sa seule justification. Répond-elle à un besoin ? Sans doute, sinon elle n’existerait pas. À condition d’accoler à cette notion de besoin une dimension spirituelle.
(Le chien de Dieu)
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La beauté ne prêche ni la morale sociale ni la morale individuelle. Si elle atteint des buts éthiques, c’est indirectement : en orientant l’humain vers une plus grande conscience de soi et du monde, en poussant à l’individuation celui qui sait la percevoir.
(Le chien de Dieu)
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Elle [Susan Sontag] me fascine et m’énerve. Si on en croit son argumentation contre Leni Riefenstahl, tout ouvrage qui glorifierait la beauté, la force, la réussite et le triomphe de la volonté serait d’inspiration fasciste. Si les fascismes ont le monopole des vertus et esthétiques positives, eh bien, je suis fasciste ! Le courage et la volonté n’existaient pas chez les républicains espagnols ? Chez les barbudos de Fidel ? Le triomphe final des Lumières et de l’Humanité que chante la Neuvième de Beethoven serait aussi fasciste ? Le vieil homme et la mer, d’Hemingway ? Sontag désigne explicitement comme œuvres fascistes Fantasia de Walt Disney et 2001 : l’odyssée de l’espace de Kubrick… Le gauchisme salonnard sombre parfois dans un crétinisme qui frôle l’absolu.
(Le chien de Dieu)
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Hier, coucher de soleil ordinaire du lieu – c’est-à-dire hors de l’ordinaire). Sur le quai, des jeunes, des vieux, des chiens… Dans un silence religieux, d’église. Frémissements sacrés. Le soleil est descendu rapidement, puis les gens se sont retirés, un à un. Comme chargés de sens pour la nuit. Liturgie d’avant tout temple, toute cathédrale. Toutes ces femmes et tous ces hommes, sur le quai, étaient meilleurs en ce moment précis de crépuscule qu’ils ne le sont (ou le montrent) dans leur quotidien. Nécessité de la transcendance pour résider dans cette partie de soi-même où on excelle à être soi. Lorsqu’on s’en éloigne, on devient moins généreux, moins aimant, fermé à la beauté du monde et prompt à la bêtise méchante, car en rupture avec soi.
(Le chien de Dieu)