La Toile
On ne sait plus très bien, mais il semblerait qu’il y ait eu une sorte de sélection, officieuse. Les quelques rares personnes – oui, ils étaient des personnes avant de devenir CA[1] – qui refusaient les cybertechnologies ont mystérieusement disparu. On ne sait plus très bien.
Un semblant de peur, que l’on ne pouvait nommer, a asservi les peuples. Peur du réel. Bourrage de crâne par divers moyens, visant à persuader l’homme que la vie était un danger. Il fut facile de trouver un refuge dans le monde inexistant.
Alors le spectacle COMMENCE. Farandole de supports pour mieux se connecter. Chez soi, dehors – DEHORS existait, oui, déjà morne – partout on plongeait avec délice dans l’impalpable. Cela était douillet. Cela était, pour tous, une seconde mère. Une mère qui dévore ses enfants pour accoucher de momies. Il n’y a JAMAIS eu de rébellion contre ÇA.
On ne sait plus très bien. Peut-être que des individus – oui, cela existait – ont tenté une insurrection. Aucune trace, aucune information sur cette probabilité. Personne NE VEUT en parler. On croit. On espère. Au pire on imagine. On imagine qu’il y a eu des révoltes. Juste pour en FINIR.
Mais la mère est plus forte, sa toile est empesée, ses moyens sont terribles. Les révoltes ont dû être misérables, rapidement écrasées par la toute-puissance de la nouvelle divinité. La religion est morte aussi, après des années d’agonie sur le lit des craintes humaines.
Plus d’autel. Plus de messes ni de prêtres. Seule compte la connexion.
La vraie révolution est celle opérée par la cybernétique : en supprimant les besoins vitaux, l’homme a pu survivre. Se nourrir d’électricité. La laisser gentiment s’infiltrer sous nos peaux. Cela est doux. Cela est bon. Cela coûtait moins cher que tout. Des frissons de plaisir, les premiers temps. Puis une douloureuse habitude, un ronronnement discret. Nos cœurs, eux aussi, comme des machines. Ils palpitent lentement. Les battements se suivent comme les jours.
[1] Computer accros.
Journal d’une fumée
Tu me fumes. Tu me fumes et tu ne sais même pas pourquoi. Je ne suis pas une de celles « par plaisir ». Je suis une de celles « coup de nerfs ».
Ils te gonflent, le monde. Ils te gonflent tous, là, avec leur univers fermé, recroquevillé, pourrissant. Et, plus le monde te gonfle, plus tu tires sur moi pour te remplir de ma fumée nuisible. Comme si j’y pouvais quelque chose. Je n’y peux rien, mon coco. Je n’y peux rien, mais je t’apaise, n’en déplaise aux médecins, n’en déplaise à l’hygiénisme fade.
Tu me fumes comme tu voudrais fumer le monde, comme si une combustion de la réalité était possible.
Tu me fumes et tu oublies ton café, que tu boiras peut-être après, peut-être froid, peut-être dégueulasse.
Je laisserai dans ta bouche ce goût amer et sec que tu aimes pourtant.
Notice biographique
Clémence Tombereau est née à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans. Elle vit actuellement à Milan, en Italie. Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate cette année du concouJrs littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rouge-déclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous que vous auriez intérêt à visiter :http://clemencedumper.blogspot.com/ (Clémence Tombereau vient de publier aux Éditions du Chat Qui Louche Fragments, un recueil de billets que vous pouvez vous procurer en version numérique pour un prix plus que modique à l’adresse suivante : http://www.editionslechatquilouche.com/)
Noir c’est noir! Qui a dit que le noir n’est pas suave n’a pas lu Clémence Tombereau
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