Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

L’ÉCOLE M’A TUÉE —

(Ou l’histoire d’une déclaration d’amour qui perd pied)

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 On s’était promis de ne jamais se faire payer le prix de l’amour qu’on se portait. Mais les promesses, même gravées sur un banc à la pointe du canif, y’a toujours un cul qui finit par s’assoir dessus. Les promesses ne volent jamais plus loin qu’un il était une fois, et quand le réveil sonne il est déjà l’heure de reprendre le chemin de l’école. Se lever le mercredi matin, faire le chemin à pied qu’il pleuve, qu’il neige, que le soleil tape trop fort, ça nous a jamais tués. L’école n’a jamais eu besoin d’aide pour avoir notre peau. Son problème, c’est pas le rythme, c’est la mélodie. Une complainte d’adultes qui soupirent en répondant à des questions qu’on ne s’est jamais posées ; quand on chante faux, on réserve ça à la salle de bain – c’est la moindre des politesses. La même, d’ailleurs, qu’elle glissait dans notre soupe froide tous les midis dans cette cantine qui sentait toujours mauvais, même les jours de frites. La politesse, j’en ai bouffé plus que mon pharynx pouvait déglutir. À force de oui madame, bien monsieur, merci s’il vous plaît et vice et versa, j’y ai laissé mon œsophage, mon estomac et mon intestin grêle. Je m’excusais pour les mains aux fesses que mon sourire avait agressées. Je disais même pardon pour les fausses notes que mes côtes craquaient quand un poing, qui n’avait pas, lui, la politesse en intraveineuse, voulait tâter de l’enfant sage. Alors qu’on ne s’étonne pas si ce matin j’ai le bonjour qui me reste en travers de la gorge, si je ne cède pas ma place à la première petite vieille venue – aussi plissée, aussi courbée soit-elle. Alors qu’on ne me reproche pas, les soirs de pluie, mon côlon irritable et mes diarrhées verbales. L’école, c’est comme un plat dans un restaurant gastronomique. Sur la carte ça fait rêver, mais dans l’assiette y’a pas grand-chose à grailler. Les chimères, ça n’a jamais fait taire l’estomac de l’homme qui a faim, même s’il ferme les yeux, même s’il y croit aussi fort que son cœur cogne contre sa poitrine.

Au début tu joues le jeu, et au premier cours d’histoire t’oublies déjà Barbie sous le lit : quand tu seras grand, tu seras Indiana Jones. Mais quand on te parle de problèmes, de guerres dans des langues que tu ne comprends pas, les étoiles s’éteignent et ta tête s’aperçoit qu’elle est juste à côté de tes pieds, sous le béton qu’ils sont en train de couler. Mais quand on te gifle parce tu gueules aussi fort dans tes rédactions que devant les photos de ton livre d’histoire, tu cesses définitivement d’y croire, baisses la tête et t’éteins, comme les étoiles tout à l’heure. L’école, c’est une histoire d’adultes désabusés qui marchent à côté de leur vie, de mômes qu’on prive de contes de fées, à qui on tend un sachet de baby carrots parce que c’est meilleur pour la santé. À la cour de l’école qui a toujours raison, on est tous des cancres en devenir, et les bons élèves ne sont rien que des comédiens qui ont appris par cœur les pas que le metteur en scène leur a soufflés. En se disant que c’est juste un mauvais moment à passer, que quitte à couvrir son cul d’escarres sur des chaises trop dures, autant remplir ses poches avant de décamper.

J’étais bonne comédienne, le masque collait à mes joues rebondies et le soir j’apprenais mes leçons par cœur. J’ai appris à détester la chimie, parce qu’on m’a dit que c’était pas un truc de filles. J’ai appris à détester la couleur quand le prof de dessin a lâché son premier sourire en recouvrant mes dessins d’une craie grasse que les lames de rasoir ne savaient pas faire partir. J’ai appris à détester la philosophie quand celui pour qui j’avais mis deux-trois rêves de côté s’est finalement moins intéressé à mes questions qu’à mon cul. J’ai appris à détester la justice à coup de punitions collectives, j’ai appris à détester la solidarité quand on m’a demandé de balancer ma copine, j’ai appris à détester la communauté quand elle a ri à gorge déployée derrière mon bonnet d’âne, sans même prendre la peine de faire passer ça pour des sanglots. Et dans la cour de récré, à regarder les filles jouer à la poupée, les garçons jouer à se faire les filles, les gros bras jouer à se taper les gringalets à lunettes, j’ai appris à me détester. J’ai appris à détester le sport et la littérature, les épinards et les filets de colin ; j’ai jamais su prendre mon pied, à renifler ceux des autres dans les vestiaires, à compter ceux des poètes sur les polycopiés. J’avoue, j’ai jamais fait que simuler, mes explications de textes salissaient des pages sans y croire vraiment et je croisais plus d’inconnus dans la rue que dans les équations. Pour l’école ça n’avait aucune valeur, mais pour moi ça n’avait pas de prix. J’ai appris à remplir les fiches de la rentrée comme si de rien n’était, à faire rentrer « décédé » dans chat qui louche maykan alain gagnon francophoniela case « profession » sans que ça dépasse jamais ; j’ai appris à sceller mes larmes sous mes paupières et la grille de l’école en regardant les bons élèves se pendre aux arbres de l’autre côté. Alors qu’on ne s’étonne pas si ce matin je couve une grosse colère. Alors qu’on ne me reproche pas, les soirs de pluie, de la tourner vers l’école même si c’est toi qu’avais promis. J’ai perdu mes rêves dans les couloirs du collège et son acné, comme j’ai fait la paix avec le sport la littérature et ma fièvre d’exister dans tes bras qui m’ont déjà oubliée. On s’était promis de ne jamais se faire payer le prix de l’amour qu’on se portait ; sauf que, pendant que ton valet fait claquer tes deniers pour te réveiller, moi je termine ma nuit, qui n’a jamais commencé, dans un bar mal léché à faire la causette au cendrier d’une jolie blondinette, juste pour me sentir un peu en vie.

Notice biographique

Chat Qui Louche maykan alain gagnon francophonieMyriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.  Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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