Joute céleste à l’Île chienne
L’œil regarde sans trop voir. Des volutes blanchâtres s’effilochent lentement, fumée imperceptible rayant l’azur placide.
Invité par la mer vers laquelle il coule avant de s’y noyer, l’œil se détourne alors. Il délaisse les cieux et la paupière cille, subjuguée de lumière.
Le bleu marine miroite, se casse en mille vaguelettes qui clapotent méticuleusement, ornées çà et là d’une timide crête d’écume. Sur les galets somnolents, l’eau vient et se retire, laissant entendre de drôles d’applaudissements luisants. Un bruit rond qui marie le liquide à la pierre. Un roulis de cailloux.
Rassasié, affligé par la réverbération des rayons sur les ondes, le regard cherche un repos et retourne vers la montagne mate, veloutée, sûr de s’ancrer dans du dur. Les laiteuses traînées se sont métamorphosées.
Les premiers temps, ce ne sont que des chatouillements doux, de ces jeux tendres où l’on se frôle sans oser s’affronter. Des frémissements timides en guise de prémices. Quelques oiseaux téméraires viennent gifler de leurs ailes l’air maintenant épais. Gonflé, le vent s’invite à la joute céleste qu’il compte bien gagner. Indolemment, les montagnes frissonnent et les hostilités sont plus qu’entamées. Les éléments se rangent en ordre de bataille.
Gorgées d’eau et grises désormais, les nuées filandreuses s’accrochent ardemment à la roche, semblent y laisser des plumes, des voilettes chenues.
Les monts déchiquetés, peu à peu, dissipent leurs contours, se nimbent de brouillard, jeunes mariées brunes empesées dans leur voile.
Dans un solide silence les masses vaporeuses s’agglutinent, caracolent pour écraser la terre de leur douceur factice.
Un grondement terrible sonne l’hallali d’un assaut tumultueux. Le silence s’enfuit, rapide vers d’autres horizons.
Les éléments s’assaillent. L’œil abasourdi et l’oreille assourdie se font les spectateurs d’un enfer naturel. Le ciel et la pierre s’entrechoquent sans merci ; chacun vient fracasser son armure sur l’autre.
Nul vainqueur ici.
Ciel, terre et mer s’en retournent dos à dos.
Notice biographique
Clémence Tombereau est née à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans. Elle vit actuellement à Milan, en Italie. Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate cette année du concours littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rouge-déclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous que vous auriez intérêt à visiter :http://clemencedumper.blogspot.com/ (Clémence Tombereau vient de publier aux Éditions du Chat Qui Louche Fragments, un recueil de billets que vous pouvez vous procurer en version numérique pour un prix plus que modique à l’adresse suivante :http://www.editionslechatquilouche.com/)