Chronique de Québec… par Jean-Marc Ouellet…

18 mars 2011

Et l’homme papota…

Chaque jour, depuis notre plus jeune âge, nous prononçons des milliers mots, des mots pour exprimer des concepts, des pensées. Nous parlons à des amis, à des confrères, à des inconnus. Nous transmettons une multitude d’informations. Les phrases défilent, essentielles parfois, inutiles en d’autres occasions. Souvent, le silence revenu, on a peine à se souvenir des mots échappés de notre bouche. Mais l’autre a compris. C’est ce qui compte. On parle même en dormant. La parole n’est pas toujours consciente.

Nous parlons, nous écrivons, mais que connaissons-nous du langage?

La quête ***

L’origine du langage a toujours fasciné. Jusqu’au XVIIIe siècle, c’était simple. La Bible faisait foi de tout. Vous connaissez l’histoire. Jadis, il y avait une langue unique. Un jour, l’Homme voulut s’élever au niveau de Dieu. Il entreprit de construire une tour si haute qu’Il atteindrait le ciel, comme à Dubaï, peut-être. L’Homme atteindrait Dieu lui-même. Or, Dieu n’aima pas l’initiative de sa créature préférée. Il créa les langues. Les humains ne pouvant plus se comprendre, le projet échoua.

Au XVIIIe siècle, des philosophes tentèrent d’expliquer la naissance du langage. Pour l’abbé Condillac (1715-1780), le langage découlait de l’action. D’abord, les gestes. Ils exprimaient des besoins et des sentiments. Puis, les signes vocaux apparurent. Pour sa part, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) ne reliait pas la parole au besoin. Il impliqua plutôt la reconnaissance de l’autre en dehors de soi. Il décrivit trois étapes. D’abord la communication par gestes, puis, au fur et à mesure que la société se constituait, le premier langage oral apparut, un langage musical, qui perdra de sa musicalité lorsque la société deviendra plus complexe, créant des besoins nouveaux, le commerce par exemple. Finalement, Johann Gottfried Herder fit plutôt intervenir la capacité humaine de réfléchir sur une image, d’en interpréter les qualités essentielles. Pour lui, « le loup observe le mouton avec son instinct animal. Il ne considère pas sa proie, il la guette. »  L’homme, pour sa part, détermine plutôt que le mouton est « blanc, doux, laineux » et qu’il bêle. Ce dernier élément est important parce que pour Herder, les bruits du monde ont donné les premiers éléments du langage.

Les décennies passèrent. À partir de la phonétique des langues, des savants tentèrent de remonter à une langue unique, mère de toutes les langues. Au XIXe siècle, on découvrit des fossiles humains datables, et par le fait même, l’insurmontable écart séparant les plus anciennes langues connues des plus anciens ancêtres de l’homme. On tenta d’expliquer l’apparition du langage par des changements anatomiques des mâchoires et du larynx. Rien de concluant. Confrontée à ces difficultés indomptables, la quête de l’origine du langage s’émoussa. Jusqu’aux années 1960.

 

Noam Chomsky

La science biologique s’en mêle alors. Le linguiste américain Noam Chomsky dans Structures syntaxiques propose un lien entre la constitution du cerveau et le langage. Des régions pour la parole, d’autres pour l’écriture. Plus tard, dans les années ’80, Steven Pinker, psychologue cognitif canadien, parle de « gènes grammaticaux ». Les gènes. Évidemment. Nouvel espoir. Le langage serait issu de quelques mutations d’un petit nombre de gènes. Or, encore aujourd’hui, la plupart des spécialistes ont des réserves à ce sujet.

Quand vint le langage?

On ne peut être certain du moment de son apparition. On ne peut donner un âge à une langue, puisqu’elle ne naît pas. Elle apparaît doucement, insidieusement. Elle emprunte des éléments des autres langues pour compenser ses lacunes. Elle meurt comme elle naît, sans moment précis, souvent dans l’indifférence.

On a découvert des outils datant de plus de 100 000 ans. Preuve de langage? Pas sûr. On peut apprendre à fabriquer des choses en imitant l’autre, sans explication orale. Par contre, entre les années −80000 et −60000, il y eut les grandes traversées, comme celle de l’homo sapiens qui quitta l’Asie pour rejoindre l’Australie. Pour un tel périple, le navigateur doit se projeter dans l’avenir, penser à emporter de l’eau et de la nourriture, les organiser dans les bagages, etc. Pour l’élaborer et y engager l’ensemble d’une communauté, il faut communiquer, échanger des idées et donc, posséder des capacités cognitives élevées.

On ne sait pas si au début il n’y avait qu’une langue unique. On sait cependant que les langues se regroupent en famille dans un ensemble d‘idiomes issus d’un ancêtre commun, la protolangue. Par exemple, le français, l’espagnol, le portugais et plusieurs autres découlent du latin issu de l’indo-européen. Le danois, l’allemand, l’anglais, parmi d’autres, proviennent du germanique ancien, lui aussi né de l’indo-européen. Il y eut aussi l’afro-asiatique, le nilo-saharien, l’austronésien, etc.

L’homo erectus parlait sans doute en langage Tarzan : «  Jean-Marc tue cerf, enfant mange cerf. » Dans ce type de langage, on ne peut distinguer le temps de l’action ni dissocier le réel de l’imaginaire, le certain de la supposition. Avec l’augmentation de volume du cortex cérébral et des capacités cognitives qui y sont liés, l’ajout de la grammaire pour exprimer les subtilités liées au temps ou à l’imaginaire permit au proto-langage d’évoluer vers les langues modernes.

L’Homme développa donc le langage pour se lier avec les autres et former des alliances stratégiques. Inédite, cette capacité lui permit de transmettre à ses successeurs les informations acquises de ses ancêtres. Ses connaissances s’accumulèrent, et s’accumulèrent encore, lui permettant de mieux comprendre son environnement, de mieux se comprendre lui-même, et d’aspirer à sa destinée.

***   Plusieurs éléments de ce texte sont tirés du numéro août-septembre des Cahiers de Science& vie – Les racines du monde. En plus d’y retrouver les quelques informations résumées ici, vous ferez un voyage dans les langues d’hier et d’aujourd’hui, vous apprendrez comment le langage résonne comme les sons de la nature et vous trouverez plusieurs autres renseignements liés à ce phénomène si banal, en apparence, et pourtant, si fascinant : le langage.

Pour les mordus, je vous réfère à un article dans la revue Science (en anglais cependant), intitulé The faculty of language : What is it, Who has it, and How did it evolve ?, écrit par Marc D. Hauser, Noam Chomsky, et W. Tecumseh Fitch. Voici la référence exacte : Science, vol 298, 22 novembre 2002, 1569-1579

Par ailleurs, si ce n’ai déjà fait, je vous invite à lire la magnifique chronique de Clémence Tombereau publiée ici, dans « Le Chat Qui Louche », le samedi 26 février dernier. Vous y découvrirez une très originale description de la naissance des mots.



Notice biographique

Jean-Marc Ouellet est né le 11 septembre 1959 à Rimouski.  Il a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, jusqu’à l’âge de 15 ans. Après l’obtention de son diplôme de médecine à l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie à Québec, puis à Montréal. Il a amorcé sa carrière médicale à Saint-Hyacinthe, pour la poursuivre ensuite à Québec jusqu’à ce jour. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les littératures, mais il avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, pour du dépannage, il passe plusieurs semaines en région ; il s’accorde alors un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, sortira en avril aux Éditions de la Grenouillère.  Il est maintenant chroniqueur régulier pour le magazine littéraire Le Chat Qui Louche où il avait déjà publié des nouvelles


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