Inframental, supramental et Borges, par Alain Gagnon…

12 avril 2014

Dires et redires…

Mon roman Lélie ou La vie horizontale m’inquiète. Parce qu’il laisse pantois et hésitants certains lecteurs des comités result27de lecture ? Non. Par son fond même. Boule anthracite du mal-être. Description d’un cul-de-sac : celui du triomphe apparemment absolu du sous-sol, de l’avoir sur l’être, de l’inframental érigé en absolu, en principe directeur même – esquisse à peine caricaturale de l’anthropophagie néolibérale. Tous ces vices humbles, sans faste ; cette surabondance de l’insignifiance et de « l’insignifiant » qui alourdit les paysages, leste irréparablement les personnages atrophiés qui s’y promènent.

Cet ouvrage est-il l’allié objectif de la lumière du monde ou l’éteindra-t-il un peu plus ? Je le voudrais ce chicot noir qu’on lance sur la braise d’un feu éteint : de partout jaillissent des étincelles, et se rallume la flamme.

Orgueil du créateur qui ne renie aucun de ses enfants, monstres compris ? Attachement de paternité qui m’empêche de noircir le texte et d’appuyer sur Supprimer, de façon à retourner au néant ces électrons qui s’entrechoquent, ces mots mis bout à bout, ces phrases mises bout à bout et qui, comme de lourds nuages gris, pourraient obscurcir la clarté du ciel, cette luminosité que chaque âme recherche en son propre ciel intérieur.

Néant, tu ne nous auras pas, tu n’auras rien de nous, car nous contenons l’illimité que rien ne saurait contenir. Néant, tes tentations sont lourdes parfois, persuasives parfois, mais tu n’auras rien de moi. Chaque partie, qui me compose, retournera à sa source propre, comme il se doit, et continuera à servir en d’autres états de l’Être. Néant, tu n’auras rien qui vaille de moi.

(Le chien de Dieu)

*

Réveil nocturne, après avoir lu Borges. Ces phrases ont surgi, que j’ai griffonnées, hâtif :

Les humains, ces châsses qui sertissent la flamme, et s’ignorent. Yeux tournés vers les ténèbres, une lumière les foudroie et dévore.

Géants fous, ils s’avancent, hurlent, chancellent, cassent et le mobilier, et leur esprit, et leurs os…

Et scintille la flamme.

De leur ignorance, ils ne peuvent même pas nier ce qu’aveugles, ils ne perçoivent.

Les grands textes font surgir ainsi chez le lecteur des éruptions verbales, dont il serait bien en peine de démêler les causes dans son histoire personnelle ou de démontrer les liens avec le texte sous ses yeux. Ces montées de l’abîme (ou ces descentes du supramental) sont plutôt engendrées par l’état d’esprit où nous mènent de tels auteurs.

(Le chien de Dieu)

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L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet).  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Dires et redires, par Alain Gagnon…

25 juillet 2013

220px-Rime_of_the_Ancient_Mariner-Albatross-DoreFlibuste et texte…

Je me prépare à un autre acte de flibuste littéraire.  Frères de la Côte, réjouissez-vous ! Pisse-vinaigre, qui ne jurez que par votre originalité, chargez vos claviers de fiel !

Je refais le coup de Gilgamesh avec The Old Mariner’s Song de Samuel Taylor Coleridge.  J’y ajouterai même des thèmes et des images puisés sans vergogne dans Le Psautier de Mayence de Jean Ray, cet immense poète, gothique et gantois, que la littérature officielle – celle qui ne plagie jamais ! – a confiné aux enfants ou à ce sous-genre, ma chère, le fantastique… La Psyché déjà salive.  Avec ces deux lascars, délire garanti.

Ni traduction ni adaptation : flibuste et rapines, et autres exactions, en chevauchant ces textes qui eux-mêmes chevauchent la mer…

(Le chien de Dieu)

*

[…] Shakespeare aurait peut-être utilisé blancs, silences, non-dits comme artifices d’auteur, appâts, leurres – comme tous les grands illusionnistes qui en disaient moins que plus : Hemingway, Gogol, Kafka, Borges…  En sachant que les textes valent plus par ces interstices, où le lecteur (ou le spectateur) dépose ses propres matériaux, que par ce que l’auteur y exprime.  Tout comme aux échecs et au poker, l’imagination de l’adversaire (lecteur) est la meilleure alliée de l’écrivain.

(Le chien de Dieu)

*

C’est ce que je répète aux étudiants que je visite : « Vous souhaitez écrire et ne savez par où commencer ?  Écrivez le premier mot, la première phrase : pour le reste, le texte s’autogérera adéquatement si vous êtes honnêtes.  C’est-à-dire si vous ne le forcez à confesser des états d’âme ou des idéaux que vous souhaiteriez bien avoir et manifester. »

(Le chien de Dieu)

*

Lorsque je prête Guillevic, Valéry, Jaccottet ou Éluard à de nouveaux venus en littérature, je leur recommande : « Surtout, ne jetez même pas un coup d’œil à la préface.  Allez au texte ! » Avant que j’en arrive à ces précautions, le recueil me revenait après quelques semaines ou quelques mois avec un sourire gêné : « L’ai commencé ; pas eu le temps de le finir… Tu sais ce que je veux dire… » Ah ! Si, je le sais.  Le texte, bordel ! Allez au texte ! Roman ou poésie, le texte ! La seule vérité littéraire.

(Le chien de Dieu)

Notice biographique

Auteur prolifique, d’une forte originalité thématique et formelle, Alain Gagnon, ce marginal de nosnouvelle-image-1 lettres, a publié, à l’hiver 2011, Le bal des dieux, son trente-septième ouvrage. À deux reprises, il a remporté le Prix fiction-roman du Salon du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, soit en 1996 et en 1998, pour ses romans Sud et Thomas K. Il a également remporté, à quatre reprises, le Prix poésie du même Salon : en 2004, pour son recueil de poèmes Ces oiseaux de mémoire, en 2006, pour L’espace de la musique, en 2009, pour Les versets du pluriel et en 2012 pour Chants d’août. En 2011, il avait obtenu le Prix intérêt général pour son essai Propos pour Jacob.  Il a été le président fondateur de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES-CN) et responsable du projet des collectifs Un Lac, un Fjord, 1, 2 et 3. Il déteste la rectitude politique et croit que la seule littérature valable est celle qui bouscule, dérange, modifie les paysages intérieurs – à la fois du créateur et des lecteurs. De novembre 2008  à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé et de directeur littéraire aux Éditions de la Grenouille bleue, une nouvelle maison liée aux Éditions du CRAM, qui se consacrait à la littérature québécoise.  Il continue de créer et gère présentement un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche.  On peut lui écrire directement à : alain.gagnon28@videotron.ca

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Un texte de Pierre Patenaude…

30 juillet 2010

WOW !  Ma réaction en recevant ce texte qui s’approche du fond des choses en littérature, ce qui m’a toujours fasciné.  Je laisse parler l’auteur.

Présentation du texte par l’auteur :

Quand j’écris, je cherche à me cacher dans le texte en feintant ne pas être moi. Il m’arrive de me prendre pour le langage. Même, parfois, je crois être une illusion et n’être que des mots. Ça ne se soigne pas par un verre ou deux, je suis bien comme ça.

J’aime les auteurs qui parlent de la langue, comme Borges et Vila-Matas. La littérature et l’enseignement de la langue maternelle sont les seuls domaines qui

Pierre Patenaude

n’ont d’autres objets qu’eux-mêmes. Je crois Borges quand il dit que tous les livres  ont déjà été écrits, même les livres à venir. En écrivant L’homme rempli de mots, Borges ne me sortait pas de la tête (à cause de ce personnage issu du cauchemar d’un autre), ainsi que le Scriptorium de Paul Auster. Loin de moi l’idée de plagier ces auteurs. Mais, je dois vous l’avouer, je lis lentement et je déguste ce que je lis. Parfois, en lisant ou en écrivant, je réalise qu’un autre a déjà émis l’idée sur laquelle je m’échine. Je le vis actuellement et je suis un peu démonté, mais je vais trouver une issue.

Le texte que je vous envoie s’inspire d’un roman, L’homme au cœur de crapaud, que je suis en train d’écrire. Et j’écris ce roman en pensant au crapaud qui, chaque année, vient m’observer pendant que je travaille sur mes semis, à l’intérieur de ma serre. Il me regarde. On jurerait qu’il me connaît. Il se tient dans un bac noir. Il se retire lorsque je démonte l’abri à l’automne. L’an prochain il reviendra, j’en suis convaincu.

Le personnage de ce texte, Romuald, se construit à mesure que les mots emplissent les cases de son cerveau.

L’homme rempli de mots

À l’orée du bourg, vivait un homme rempli de mots.  Seule Alia, près de son âme et de sa vie, il aimait.

Au bout du bonheur, le diabète mollit la pompe de Romuald.  L’homme soignait les fleurs près de la maison.  Un crapaud le suivait, le printemps et l’été.  Auparavant, le crapaud Léo  pétait le feu.  Maintenant, il ne sautait plus, il sautillait.  Un jour, ses bonds furent des pas.  Les voisins apercevaient Romuald qui parlait au batracien.  Il s’adressait au crapaud comme on parle à son chien les jours de chagrin, sans plus.  Dans le boisé, près de son logis, une gélinotte le suivait.  Maintenant, il jugeait les bêtes ses égales.

Le désir d’Alia fanait comme la gerbe après la noce.  Toucher Alia pressait.  Romuald disait les plantes, les oiseaux, les batraciens et les arbres.  Il existait à nommer, et nommait pour mieux exister.  Décliner la création le justifiait.  Son cerveau avait autant de cases que le monde a d’objets.  Mais les replis du cerveau où logent les émois se desséchaient. La vie de Romuald tenait à des mots.  Et lui, il voulait conquérir tous les mots. Il aurait dû naître à une autre époque.  Le temps des émotions non dites.  Il pensait cela.  Mais, qui sait ?, ces émois-là  coulent dans le sang depuis les origines.  L’époux d’Alia était dans le sas du langage, puisque dire les émois lui échappait.

Le temps pressait.  Demain, on l’opérait.  Seul comme un chien, il se rendit à l’hôpital.  Le chirurgien scia le sternum.  Romuald rêva aux mots qui demain seraient.  Un fracas le troubla.  Il tomba dans un trou.  Le vide lui serrait le poitrail.  Et comme dans les écrits du poète argentin, les alvéoles où nichaient les mots, dans le crâne de Romuald, luisirent enfin.  Des émois se logèrent dans les niches.  Tous les émois du monde scintillaient comme les cierges à Notre-Dame.  Un émoi dans la case du Scriptorium le happa.  Il ne comprit que ces mots : « …sûr, à la vue de… il est sorti de sa propre vie et il a disparu ».  Un autre comme lui serait.  L’humain tournerait le kaléidoscope du langage et dirait les mots de l’univers, les émois de l’amour, avant de mourir…


Ferron et cie… Abécédaire…(26)

27 avril 2010

Extraits d’un ouvrage à paraître : Abécédaire sur Alice et quelques autres objets du devenir…

Littérature — Les doctes possèdent un vocabulaire abondant et en abusent : forêt touffue où jouer à cache-cache avec soi et les autres.

Les mots occultent davantage qu’ils ne révèlent.

Ne jamais l’oublier : si à mot j’ajoute un r, j’obtiens mort : triomphe de la lettre sur l’esprit   – ou l’inverse ?

Littérature — Les œuvres d’importance comportent ces caractéristiques :

Jacques Ferron

 

1° l’auteur s’abreuve à une mythologie commune, aux lecteurs et à lui-même, et ancre son discours à l’intérieur d’un continuum historique ;

2° il écrit en toute sincérité et ne craint pas d’exercer à son égard, et à l’égard de ses personnages, la saine ironie de Rabelais, de Cervantès, de Gogol, de Ferron ou de Borges ;

3° il conserve l’attitude humble et respectueuse du conteur.  Il ne compliquera jamais la structure du récit par tape-à-l’œil ou par désir de plaire à la mode du jour.  Bref, il communie davantage qu’il ne communique.

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