Constance Colonna-Cesari, Benoît XVI, les clés d’une vie, Paris, Éditions Philippe Rey, 2005.
Dans cette biographie de Joseph Ratzinger, l’auteure rapporte cette légende qui, depuis hier soir, me turlupine, m’interroge. Celle de saint Corbinien.
Aux septième et huitième siècles, Corbinien était évêque de Freising, un petit duché de Bavière. En 680, il y fonda un monastère. Sa réputation grandissant, sa retraite devint un lieu de pèlerinage. En 716, il part pour Rome voir le pape, afin de lui demander de reconnaître son œuvre. Au cours de ce voyage, pendant la traversée de la Bavière, la légende raconte qu’un ours l’attaqua et dévora son cheval. Corbinien, après avoir prié, lui ordonna de lui servir de monture. Et c’est à dos d’ours qu’il se rendit à Rome, où il abandonna l’animal dans la Ville Éternelle. C’est pourquoi on le montre souvent en compagnie d’un ours. L’ours de Saint Corbinien se retrouve sur les armoiries du pape Benoît XVI qui fut archevêque de Munich-Freising et fort impressionné par cette histoire à clés. Dans son ouvrage, intitulé Ma vie, souvenirs, Ratzinger se compare à cet ours que le saint a transformé en bête de somme : « L’ours n’est-il pas l’image de ce que je dois faire et de ce que je suis ? Je suis devenu ton mulet chargé de ton joug, et c’est ainsi que je suis tout près de toi pour toujours ».
Le cheval est un animal hautement domestiqué, soumis à l’humain. Il représente, jusqu’à un certain point, l’urbanité, l’ordre, la vie dans des cadres rationnels. L’ours est son opposé. Carnivore, carnassier, omnivore, il hante les forêts obscures. La sagesse humaine seule n’aurait donc pu conduire Corbinien et Ratzinger jusqu’à Rome, la fin de leur destin ? La part brutale, irrationnelle, intuitive et instinctive de leur être devait prendre la relève, venir en renfort ? Et qu’en est-il dans nos vies du départage entre l’animal primitif, qui gite en nous, et l’animal policé que nous montrons aux autres dans le quotidien ? Le cheval doit-il mourir, s’effacer parfois pour faire place à la brute indomptable ? Et à quel moment ? Notez bien, toutefois, que l’ours a dû être dompté, apprivoisé… Avant d’être abandonné ! Beaucoup de ruminations et de parlementeries intimes avec cet ours, devant une bière blonde et munichoise.