La magie des mots, par Francesca Tremblay…

Mélusine

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Elle souriait. Mélusine se rappelait le piaillement aigu des oisillons qui excitait ses oreilles sensibles à leur joie, mais la saison n’était plus et les chants avaient changé. Le vent encore doux faisait courir les feuilles qui séchaient et qui seraient prisonnières de l’hiver, lorsque les pluies deviendraient neiges légères. À ses pieds nus, celles-ci couraient dans un sens et dans l’autre comme si elles allaient manquer le bal. Il faisait froid maintenant que l’été avait complètement disparu et Mélusine était de celles qui croyaient que la mort était le silence et la poésie précédant la naissance d’autre chose.

Elle s’était glissée dans l’éclat de lumière qui dessinait d’or la silhouette des branches. Sentant la chaleur du soleil timide réchauffer la peau de son visage. Un voile doré descendit jusqu’à son cou lorsqu’elle pencha un peu la tête en arrière et elle se surprit à rire. Les bras ouverts, son manteau s’ouvrit, dévoilant sa nudité. Ses longs cheveux blonds glissaient sur sa poitrine nue. À son nombril scintillait un bijou en argent. Moment de grâce, elle remerciait le ciel d’être ici.

Elle se trouvait devant son arbre favori. Depuis des années qu’elle le veillait et l’aidait à croître dans cette forêt très dense, tassant les souches d’arbres morts. Elle n’aurait su dire pourquoi, mais elle s’était sentie liée à cet arbre. Elle connaissait le sentiment d’oppression que génèrent les autres parce que vous êtes différent. Les cèdres lui cachaient le soleil de leur épais feuillage vert, mais il prenait tout de même sa place. Lentement, mais sûrement. Contemplative, elle posa sa main sur son tronc, faisant tressauter ses doigts sur les rugueuses et profondes rides. Elle sentit sa sève circuler sous les couches qu’avaient ajoutées les années, et un oiseau curieux, qui s’était posé sur une branche repartit gaiement en poussant de petits cris hardis.

Aussitôt sortie du halo de lumière, elle eut le frisson. Elle resserra les pans de son manteau. Elle était venue en cet endroit pour réfléchir. Réfléchir à ce que serait sa vie avec l’homme qui possédait son nom. Qui le murmurait telle une incantation, les soirs, alors que les lunes s’accrochaient aux étoffes des ténèbres. Il l’accusait de l’avoir envoûté, mais elle était bien plus ensorcelée que lui ne le serait jamais, et elle le savait. Avait-elle réellement besoin d’amour ? Enfin, d’amour charnel ? Elle supposait que oui.

Et elle songeait à lui. Entre les mèches sombres de ses cheveux rebelles, elle percevait ce regard meurtri qui pénétrait les abîmes de son âme. Ses yeux qui la tueraient de passion. Et elle imagina la ligne dure de sa mâchoire et le creux de ses joues noircies de cette barbe persistante, cachant une cicatrice d’enfance. Sa bouche sensuelle, rouge et chaude d’avoir exploré son intimité. Son sexe offrant et humide de son désir. Sa verge en elle, elle lui offrait le spectacle de son corps qui bougeait sous ses caresses, faisant monter l’excitation. Quand l’amour la prenait, elle était dans une sorte de transe et de grandes ailes noires se déployaient dans son dos. Elle était Mélusine. Il ne les voyait pas, ses appendices aux plumes géantes. Il ne les verrait jamais. Mais elle savait qu’elle était la femme de plusieurs comme lui. Elle était la mère de toutes les femmes et elle se repaissait de ces hommes comme ils l’affamaient.

Ses doigts laissaient des rougeurs sur ses cuisses et quand tous ses muscles se tendaient, que ses reins se cambraient en un dernier assaut, leur chair bouillait déjà d’une mort qui courait dans toutes les fibres de son être. Il se répandait en elle comme la vie, en un potentiel, peut tout créer. Et dans un râle qui s’exhalait de cette gorge puissante, il s’effondrait sur la rosée de sueur qui perlait sur son corps, caressant ses seins tourmentés de passion. Quand ses yeux se fermaient pour rêver, elle quittait le bel amant et s’enfermait dans son atelier. Toute la nuit, à la lumière des chandelles, nue devant son chevalet, elle peignait des horizons au point de fuite infini. Rien pour la retenir. Pas même le ciel.

Elle ne savait pas ce que les arbres pensaient d’elle. Elle serpentait pour échapper à sa réalité au lieu de s’ancrer à la Terre et chercher à s’élever vers le soleil. Ils lui diraient qu’elle pousserait croche à fuir la lumière. Et là, Mélusine s’esclaffa. Un rire sonore, aussi gai que le chant du ruisseau s’écoula dans toute la forêt. La femme qui parlait aux arbres. C’était quand même les seuls êtres vivants qui ne lui demandaient pas sans cesse d’être une autre. Qui écoutaient et qui lui racontaient la vie. Même les animaux avaient des attentes. Pour les plus domestiqués d’entre eux, ils avaient besoin d’être soignés. Ils avaient besoin d’attention et elle n’avait pas envie d’en concéder. Elle voulait seulement partager avec d’autres, sans qu’il y ait d’attente en retour. Sans qu’on lui prenne tout et qu’on la laisse plus seule qu’elle ne l’était déjà… Même chose avec les humains. On aimait, on voulait être aimé. On dénaturait l’autre et on se rendait dépendant de lui, quitte à s’oublier ou oublier celui qui était devant nous. Les arbres ne lui avaient jamais rien demandé en retour pour l’énergie qu’ils lui avaient transmise. Ils n’auront pas besoin d’elle pour continuer d’exister. Selon la jeune femme blonde, tout ce qui était sauvage et indompté était beau. Beau parce qu’il demeurait pur. Intact. Domestiquez l’animal et vous penserez avoir trouvé un ami, mais libérez une buse et vous aurez trouvé votre propre félicité.

Arrivée devant le lac aux reflets orangés du soleil qui s’éteignait, elle fit glisser sonchat qui louche maykan alain gagnon francophonie manteau sur sa peau hérissée par le froid. Lasse et engourdie par toutes ces pensées, elle ne sentait plus la morsure du temps. Mélusine continua à marcher vers le lac et elle y pénétra lentement, comme dans un rituel gravé en sa mémoire pour les siècles et des siècles. Sur la surface de l’eau reposaient quelques feuilles de bouleau qu’elle frôla du bout des doigts tout en continuant d’avancer. Elle plongea dans l’eau glacée et revint à la surface comme une nouvelle femme. L’eau du lac lavait son corps et son esprit des peurs, des angoisses et des doutes.

Le soleil se couchait et les arbres se camouflaient dans le voile de la nuit avant de disparaître. Ses ailes avaient besoin d’amour pour être déployées. Elle reviendrait vers lui. Lui qui attendait de savoir qui elle était devenue, cette fois.

Notice biographique

chat qui louche maykan alain gagnon francophonieEn 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

5 Responses to La magie des mots, par Francesca Tremblay…

  1. Bonjour Francesca,

    Ton texte est rempli de poésie. On se laisse emporter par Mélusine qui est à la fois femme, fée ou sorcière. Elle est tellement passionnée, sensuelle, et charnelle …………….Elle est l’âme de la forêt. La rencontrer est sûrement un bienfait, bien qu’un peu angoissant.
    J’ai beaucoup aimé et je te remercie Francesca pour ce moment délicieux.

    Aimé par 1 personne

    • defidecrire dit :

      Bonjour Marie-Claude,
      Merci à toi pour le partage de ce commentaire!

      La passion et la sensualité qui se dégage de cette femme peuvent être oui, déstabilisant, car elle-même en est toute retournée…
      Mais elle vit sa folie au gré des jours qui passent et se laisse inspirer par ses  »envies » pour continuer d’être  »en vie ».
      Comme tu le dis si bien, elle est l’âme de cette forêt.

      Aimé par 1 personne

  2. lolitaleblanc dit :

    Toutes les femmes devraient être les seules maîtresses de leurs t n’adresse, leur folie , leur passion. Agréable de partager celles de Mélusine. Très beau texte.

    Aimé par 1 personne

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