J’avais des ailes
J’avais des ailes. De toutes petites ailes. À peine naissantes sur mes omoplates. Deux petites ailes bien symétriques que je n’arrivais à apercevoir qu’à force de tourner la tête et d’allonger le cou. À vrai dire c’était plutôt inconfortable. Même que ça me démangeait parfois. Même que ça m’inquiétait parfois. Elles étaient pourtant minuscules. Comme les nichons d’une petite fille pubère : pas encore assez ronds pour être emprisonnés dans un soutien-gorge et pourtant bien saillants sous la camisole. Deux ailes toutes menues que j’avais toutefois bien du mal à dissimuler sous mon uniforme de collégienne.
J’avais beau essayer de ne pas y prêter attention. Sous ma chemise elles s’agitaient. S’impatientaient. Se hérissaient parfois. Mais allez donc discipliner des ailes ! Surtout lorsque, comme moi, elles étouffaient sous l’uniforme de collégienne. Pourtant il fallait bien tenir le coup jusqu’à la fin de l’année scolaire. Mais quand aux premiers beaux jours de juin dans un sursaut d’impatience elles me faisaient savoir que c’était trop leur demander, j’usais alors de subterfuges pour me retrouver seule avec elles. Une quinte de toux soudaine. Un urgent besoin d’aller au petit coin. Et sitôt refermée la porte de la classe, il me suffisait de me tourner vers elles et de leur chuchoter quelques mots rassurants.
Et je comptais les jours.
« Encore une semaine avant les grandes vacances… Trois jours… Deux jours… Courage, on y est presque ! »
Au solstice d’été, de retour dans mon petit village en bordure de la mer, mes ailes et moi étions enfin prêtes. Du moins je le croyais. Et là, chaque matin sur la plage, à l’heure où le jour vient au monde, pieds nus dans le sable, les plumes hérissées sous mon chemisier, les bras grand ouverts à en vouloir embrasser l’horizon, je courrais, courrais, courrais dans l’espoir de voir enfin se déployer mes ailes. Je courrais, courrais, courrais pour m’arrêter à bout de course, pour m’arrêter à bout de souffle, déçue…
Et moi, seule parmi les oiseaux, le regard tourné vers la mer, je me surprenais à rêver du jour où je volerais enfin jusqu’à ce phare au bout de l’île, par-delà les reflets aveuglants du soleil sur les eaux.
Et je comptais les jours.
« Combien de jours encore avant la première envolée ? Deux jours ? Trois jours ? Une semaine ? Un mois peut-être ? Et si un seul été ne suffisait pas à mes ailes pour atteindre leur pleine envergure ? »
Tant de questions que je gardais pour moi.
Et les jours passaient. Et les nuits passaient. Et vint un temps où les nuits empiétèrent sur les jours. Un peu, beaucoup, énormément. Tant et si bien qu’on finit par douter de voir à nouveau le jour venir au monde.
Et moi, seule parmi les oiseaux… Mais bientôt dans la nuit il n’y eut plus d’oiseaux.
J’avais des ailes. Je ne les ai plus. Un beau matin j’eus beau palper mes omoplates où la veille encore elles s’agitaient fébriles. Ce matin-là, il ne restait plus rien. Ni plaie béante ni cicatrice. Sur mes omoplates, plus rien.
Une bien jolie prose ! Se sont-elles cachées à l’intérieur, là, dans le cœur, où le monde semble bien plus vaste ; là, où le jour et la nuit s’ouvrent comme une même fleur. Merci pour ce texte.
Je permets de vous répondre avec ce poème :
Oisillons bleus
Avec mes ailes d’homme,
Mes ailes de farine,
Je vois passer l’aurore
De mes oisillons bleus,
Et, loin sur la colline,
Un joli feu de paons,
De couleurs et de plumes.
Avec mon fol épi,
Mon petit grain d’avoine,
Je vrille à l’infini
Sous le mât du sommeil !
Tout, ici, n’est que songe
Où mon âme se plonge
Dans son linceul safran.
Les pollens de l’esprit
Jaillissent, jets de fleurs
Dans les arbres-fontaines.
Tout, ici, naît du songe,
De l’herbe papillon
Aux lunes de santal,
Du nid d’héliotropes
Aux pommes arc-en-ciel.
Tous ces oisillons bleus
Se posent sur ma hanche,
Sur mon corps de musique
Mâtiné de lumière.
© Stéphane, le 30 mars 2012
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Merci Claude-Andrée…Il tombe à pic ce texte. J’ai voulu jouer les outardes cette fin de semaine et me suis cassée le nez. Ha ha! Mais je rêve encore de m’envoler, vous savez. J’aime trop le vent!
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La prochaine fois essayez de jouer à l’oie blanche…
Le Chat
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C’est tellement toi dans mes souvenirs, quand nous étions adolescentes au collège. Nous avons beaucoup rêvé notre vie ensemble et je crois que tu fais ce que tu as toujours souhaité. Bravo !
Danielle Dion
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