Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

Vous, mes frères

 Récemment, la vie m’a conduit dans les vieux pays, les plus anciens pays, là où l’éphémère de l’existence frappe de plein fouet et nous rappelle la précarité, la banalité presque, de notre passage.  Des millénaires de gloires et d’hommeries nous invitent à présager de l’après nous.  Tant d’histoire en deux semaines.  Les Pyramides, Éphèse, l’Acropole, Rome et son Colisée.  Autant de merveilles de l’humanité du Bien et du Mal.  Et quelques réflexions.

Trop pour un peu

En Égypte, au Caire, pas de manifestation.  Pourtant, à notre départ de la maison, à la télé, à la une des journaux, les drapeaux américains brulaient, là où McDonald, PFK et On the run participent à l’économie locale.   À Athènes, le calme, des gens accueillants.  Les manifestants des actualités ?  Nulle part.  L’œil du cyclone.  Ils attendaient la venue de la chancelière Merkel.  Nous venions de partir.  À la télé, les mêmes endroits, si calmes durant notre séjour, envahis par les slogans et les casseurs.  Des milliers de protestataires, ou des dizaines.

La caméra cristallise l’événement, en amplifie l’impact.  Sur un écran, quelques centaines de gens paraissent des milliers.  Et la madame nouvelle suggère que des millions manifestent, fracassent des vitrines, brulent un drapeau.  Notre conclusion : tout un peuple en colère.  À tort.  Rares les printemps arabes, les vrais.  Plus fréquents les « printemps érable », diffusés à travers le monde, pour le pouvoir d’une minorité sur la majorité souvent silencieuse.  La perfidie de l’image.

Éloge de la personne

Dans ce monde de conflits et de guerres, des miracles.  Sur le bateau, des Italiens, des Anglais, des Canadiens (Albertains, Ontariens, Québécois…), des Américains (du Nord, du Sud), des Russes, des Français, des Belges, des Chinois, des Mexicains, des Grecques, des Allemands…  Des Blancs, des Noirs, des Jaunes.  Tous cohabitent, se parlent !  Entre gens de même origine, bien sûr, et entre peuples distincts.  Mêmes espérances, mêmes inquiétudes, mêmes « Oh ! », mêmes « Bof ! ».  Les conflits n’existent plus.  Une même aventure.  On se parle anglais, langue universelle, qu’on le veuille ou non. ─ En Israël, l’hébreu, une langue « morte », est la langue officielle.  Et chacun doit maîtriser deux langues étrangères à la fin de ses études secondaires.  Il n’y a pas que la distance qui nous sépare.  – Donc, là-bas, des miracles.  Un Juif discute et rit avec un Allemand.  Un Américain trinque avec un Russe.  Le guide israélien fait équipe avec le guide palestinien.  Au pied du Mur des Lamentations, des chrétiens (arméniens, orthodoxes, catholiques), des musulmans, des juifs, vivent la même soif de transcendance, prient le même Dieu.

Pourquoi deux étrangers aux convictions différentes, issus de contrées en conflit, en guerre parfois, placés l’un en face de l’autre, fraternisent-ils en paix, communient-ils dans l’aventure ?  Comment une masse d’individualités sereines devient-elle une bête belliqueuse ?

Le bien et le mal habitent l’homme.  Dans l’individualité, dans l’intimité, le bon s’exprime, reconnait le bon.  L’être est son propre témoin, son seul juge.  Mais le bien est timide, et le mal aime la masse, là où l’individualité perd son sens, et le contrôle.  Le mal est contagieux.  D’un à l’autre, il broie le bon, le repousse aux confins de l’âme, parfois de génération en génération.  Or, une fois seul, l’homme revient à sa petitesse, à lui-même.  L’humilité reprend la place, et le bon ressuscite, enfin libre.  Dans l’aventure, l’homme est seul.  Il ne tue pas celui qui lui dit bonjour.  Dans l’adversité commune, l’autre est soutien, l’ennemi est allié.

Parfois, o insanité, je rêve d’une invasion extra-terrestre, où la guerre aurait un sens, où les hommes seraient frères dans une humanité liguée contre son annihilation, échappant à son suicide.

© Jean-Marc Ouellet 2012

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, puis à Québec. Après avoir obtenu un diplôme de médecine de l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie. Il exerce à Québec. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les  littératures, mais avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, il contribue de quelques semaines de dépannage en région, et s’y accorde un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a paru en avril 2011 aux Éditions de la Grenouillère. Depuis janvier 2011, il publie un billet bimensuel dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

6 Responses to Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

  1. Sophie Torris dit :

    Merci beaucoup Jean-Marc. Ça m’a fait du bien comme ce samedi matin. Paisible.

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  2. Oui , très beau texte , hommage à notre « humanitude  » ! (^_^)

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  3. pelaprat christine dit :

    Merci Jean-Marc pour ce magnifique texte,pour ces très belles réflexions sur le bien et le mal,l’individualité face à la masse.A vous lire,je me sens moins seule face à ce monde dont je ne comprends rien,à toutes ces guerres,ces intolérances de toute sorte.Venons-nous de la même planète,du même bateau?En espérant que le bien gagne sur mal,et au plaisir de vous lire
    cher Jean-Marc.Amitiés.Christine.

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    • Jean-Marc ouellet dit :

      L’homme est complexe, l’humanité est complexe. Nos actions diffèrent selon les circonstances. Je pense que l’incompréhension des autres découle de l’ignorance, de l’effet de l’isolement, et mène à l’intolérance, aux guerres. Alors que nous avons la même chair, les mêmes craintes, les mêmes joies. Merci , Christine pour ton commentaire. Amitiés. Jean-Marc

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