Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

Juste le temps d’un Jour de l’An

« Demain, du ventre du temps surgira une année nouvelle. »  (Njabulo S. Ndebele, 1948 –     )

Oui. Demain, une autre année démarre. 2012. Déjà. Enfin. Selon le point de vue. Enfant, tu as hâte. Âgé, tu n’en reviens pas comme ça passe vite. La nouvelle année est là. Or, dans deux jours, dans une semaine, déjà, la routine aura repris le contrôle de nos vies, on oubliera les résolutions, qu’une autre année est arrivée et que bientôt, elle ne sera plus.

Le temps se perd, le temps se gagne. Le temps presse, arrive, change, manque, se donne et se rattrape. À l’ère où l’on régénère les cellules centenaires, à l’ère des produits qui gardent jeune, des chirurgies miracles et des espérances de vie qui s’allongent, on traite le temps comme un paria. Il ne va pas assez vite, ou trop vite. Le temps a toujours tort.

Qu’est-ce que le temps ? Est-il fini, ou infini ; est-il passif, ou agit-il sur nous ? Est-il une dimension de l’Univers, ressenti comme un fluide qui s’écoule en continu ? Le temps est-il celui de notre montre, celui des tictacs successifs, l’invention de l’homme ? Existe-t-il depuis toujours, indépendant de nous, en dehors de notre réalité ? Le temps va-t-il vraiment d’hier à aujourd’hui, d’aujourd’hui à demain ? N’y a-t-il qu’un seul temps dans le même univers, ou existe-t-il plusieurs mondes avec des flèches de temps différentes ? D’où vient le temps ?

Ah ! Tant de questions ! Et si peu de temps.

Il y a le temps physique (des équations), le temps psychologique (la tristesse allonge le temps), le temps biologique (le vieillissement), le temps cosmologique (l’expansion de l’univers), le temps géologique (les couches terrestres), le temps de l’atmosphère (les saisons). Le temps est une dimension du réel, une partie de l’existence. C’est une perception. « Le temps est le rivage de l’esprit ;  tout passe devant lui, et nous croyons que c’est lui qui passe. » écrivait Antoine de Rivarol, écrivain français de la fin du 18e siècle. Nous sommes soumis au temps, nous sommes ses esclaves. Nos sens ne le ressentent que d’hier vers demain. Des sens imparfaits. Le temps nous emporte en avant, vers la mort. L’écrivain brésilien Joachin Maria Machado De Assis écrivait : « Nous tuons le temps, mais il nous enterre. » Ou encore, de Hector Berlioz : « Le temps est un grand maître, dit-on. Le malheur, c’est qu’il tue ses élèves. »

Et alors que le temps qui précède notre naissance nous importe peu, celui après la mort nous inquiète. Or, n’est-ce pas le même néant, cette éternité ?

Tiré de Brian Greene, The fabric of the cosmos, p. 135, Fig 5.3 a

Le passé n’est plus, le futur n’est pas encore et le présent éphémère, ce point du réel, laisse le futur devenir notre passé. « La durée est essentiellement une continuation de ce qui n’est plus dans ce qui est », disait Henri Bergson. Le passé existe, mais n’est pensé que dans le présent. Le futur est envisagé dans le présent. Comme le disait Swami Dayananda Saraswati, un enseignant traditionnel du Vedanta, lié au Véda hindou : « Le passé était présent, le futur sera présent et bien entendu, le présent est présent. » On ne peut plus rien pour le passé dont on sait tout. Et pas davantage pour le futur qui nous réserve des surprises. Reste donc le présent.

Jean-Jacques Rousseau écrivait : « Le Temps, c’est l’image mobile de l’immobile éternité. » « L’éternité, la suite la plus longue possible des moments les plus longs possible. » disait encore l’écrivain québécois François Barcelo. Nous voyageons dans le temps. Sans cesse, à chaque instant. Nous nous éloignons du passé et allons vers le futur. Du moins, nous le croyons.

Les dernières théories de la physique parlent d’un continuum de moments présents distribués à l’infini. Comme un livre de bonshommes allumettes dont on laisse défiler les pages à toute vitesse. La page est l’instant, le livre c’est l’éternité. Et les bonshommes bougent. Chaque instant est une « page » prédéterminée. Les « pages » passées demeurent et les « pages » futures sont déjà là, et auront leur tour.

Dans sa théorie de la relativité restreinte, Einstein autorise la dilatation du temps. Pensez à deux bonshommes allumettes sur une page courbée du livre de l’éternité, l’un situé sur le bord extérieur, l’autre près du bord intérieur, près de la reliure. Chaque bonhomme ressentira différemment le passage de l’instant, d’une même page, parce que son déplacement sera différent. Ainsi, lorsqu’un voyageur se déplace à très grande vitesse, proche de celle de la lumière, le temps « s’écoule » moins vite pour lui. À son retour au bercail, encore fringuant après un court voyage aux confins de la galaxie, ses amis seront vieux ou morts. En allant vite, il aura pris du retard sur les autres. Un tel aventurier voyagerait vraiment dans le temps.

Nulle sensation, nul jugement et nulle réaction ne sont possibles sans la conscience. Elle est le capteur du temps. Sans elle, le temps n’existe pas. Pas de passé, pas de présent. On coupe la chair de mes patients. Endormis, ils ne ressentent rien. Le réveil est dans le futur. Lorsque ce dernier arrive, c’est toujours le présent. Avec la douleur en prime, conséquence du passé.

La conscience nous fait vivre et estimer l’instant. « J’entends distinctement tomber les gouttes de ma vie dans le gouffre dévorant de l’éternité », disait l’écrivain suisse Henri Frédéric Amiel-Lapeyre. Dans Journaux intimes, Charles Baudelaire a écrit : « Il y a des moments dans l’existence où le temps et l’étendue sont plus profonds, et le sentiment de l’existence intensément augmente. »

Libre, hors du temps, l’éternité est impalpable et impénétrable. Il ne laisse que des fragments à nos sens limités. La Conscience nous leurre-t-elle, abuse-t-elle de nous ? Nous laisse-t-elle croire au mirage du temps, à cette parcelle de réalité, une tare conceptuelle qui brouille nos vies ?

D’accord. Le temps peut attendre. Rien ne presse pour les réponses. Savourons l’avènement de l’an nouveau. Amusons-nous. Profitons du moment. Nous avons l’éternité pour le reste.

Bonne Année !

Pour en savoir plus sur le temps de la physique :

Brian Greene, The fabric of the cosmos, Knopf. 2004

Stephen Hawking, Une brève histoire du Temps, Du big bang aux trous noirs, Flammarion, 1989

Trinh Xuan Thuan, Le chaos et l’harmonie, Librairie Anthème Fayard, 1998

Citations tirées de La sagesse des nations, http://citations.ca/

© Jean-Marc Ouellet 2011

 Notice biographique :

Jean-Marc Ouellet a grandi sur une ferme du Lac-des-Aigles, petite municipalité du Bas-du-Fleuve, puis à Québec. Après avoir obtenu un diplôme de médecine de l’Université Laval, il a reçu une formation en anesthésiologie. Il exerce à Québec. Féru de sciences et de philosophie, il s’intéresse à toutes les  littératures, mais avoue son faible pour la fiction. Chaque année, depuis le début de sa pratique médicale, il contribue de quelques semaines de dépannage en région, et s’y accorde un peu de solitude pour lire et écrire. L’homme des jours oubliés, son premier roman, a paru en avril 2011 aux Éditions de la Grenouillère. Depuis janvier 2011, il publie un billet bimensuel dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche

 

4 Responses to Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

  1. jacques girard dit :

    Bonjour Jean-Marc, quelle belle façon de nous faire entrer dans une autre année. Impossible de ne pas s’interroger sur «la fixité du temps qui passe», se questionnait Virginia Woolf dans son journal. J’apprécie les anngles différents par lesquels tu as répondu sur le temps selon les aspects, les sciences, les points de vue, etc. Une belle synthèse à analyser. Merci Jean-Marc, une excellente année 2012, à toute ta famille et à toi, un homme studieux sur l’homme. JG

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  2. Jean-Marc Ouellet dit :

    Merci beaucoup, Jacques.N’est-ce pas un beau moment pour s’arrêter sur le temps que cette Fête décrétant le début d’un an neuf? Qu’est-ce que le Jour de l’An au juste ? Une invention de l’homme, justement établie pour célébrer le temps qui passe

    Je te souhaite la plus belle des années. Que l’an nouveau te permette à toi, comme à tous mes lecteurs, de vivre paix et sérénité.

    Jean-Marc O.

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  3. Sophie Torris dit :

    «Le temps de lire, comme le temps d’aimer, dilate le temps de vivre» Daniel Pennac.
    J’ai pu prendre tout mon temps pour vous lire puisque j’aime vos mots. Merci Jean-Marc.

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    • Jean-Marc Ouellet dit :

      J’adore votre citation, Sophie. Merci à vous de prendre le temps de me lire et pour ce commentaire. Bonne année et beaucoup de vos déliceux textes.

      Jean-Marc O.

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