Chronique de Porto… par Clémence Tombereau

(Nul ne sait comme Clémence chanter la mélancolie et la poésie du banal quotidien…  Parfois par une musique douce, parfois par des mots acides.  C’est par le café qu’elle nous y mène ici. AG)

Dans l’auréole blafarde de la cuisine, il met en route la machine à café. Une de ces machines à la mode qui font la fierté des vrais amateurs de café. Au prix de la capsule d’arabica il y a de quoi être fier en effet.
Odeur forte et chaude, bruit de percolateur. La symphonie continue. Une journée semblable aux autres s’enclenche, aussi mécaniquement que cette satanée machine. Pendant qu’il savoure le breuvage, Victor a l’esprit dans la brume; il ne se concentre que sur le goût de la mixture fumante qui descend dans son œsophage. Doucement il s’éveille. Le matin, il est muet et ne calcule rien. Seulement le café, le goût et la chaleur. A la dernière goutte avalée, il quitte la peau du zombi en sommeil et redevient un être humain. Un être humain de mauvaise humeur. Il amorce un sourire en pensant à la soirée qui l’attend.

Il va à la terrasse de sa cuisine, ouvre la porte vitrée et allume une cigarette. Comme tous les matins il fait instinctivement un geste de la main au voisin d’en face, qui fume aussi. Il ne sait rien de lui mais éprouve une profonde sympathie pour ce compagnon matinal et silencieux. Ils doivent avoir le même âge tous les deux. Le même mode de vie: l’autre fume aussi après son café, avant d’aller travailler.
Victor se demande si ce voisin hait autant que lui les matins. A voir la tronche qu’il arbore il faut croire que oui. Elle est curieuse, cette intimité qui s’instaure entre deux êtres qui ne se connaissent pas. Elle est honnête, sans attente, dénuée des fioritures de la convention sociale.
Rien ne les oblige à se saluer ainsi: ils pourraient s’ignorer dignement, personne n’en pâtirait. Mais non: un lien invisible et ténu, une connivence innée les pousse à se saluer. Ce geste pourtant anodin les sort tous les deux de leur solitude au point du jour. Lequel a commencé à saluer l’autre? Victor l’ignore: il a l’impression que ce signe de la main existe depuis toujours. Qu’il était là même avant eux, autonome et éternel.
Leurs mégots s’écrasent en même temps. Même si ce n’est pas le cas, on dirait qu’ils font exprès, qu’ils chronomètrent leurs actes pour les rendre jumeaux. Il s’agit juste d’une routine commune, universelle presque.
Chacun referme sa porte-fenêtre pour retourner à sa vie. Le claquement des vitres fait fuir les pigeons sales qui rôdent sur les terrasses, spectateurs aux yeux ronds des réveils gris de l’humain.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née  à Nîmes en 1978. Après des études de lettres classiques, elle a enseigné le français en lycée pendant cinq ans.  Elle vit désormais à Porto au Portugal.  Finaliste du prix Hemingway en 2005, lauréate cette année du concours littéraire organisé par le blogue Vivre à Porto, elle a contribué à la revue littéraire Rougedéclic (numéro2) et elle nourrit régulièrement un blogue que vous auriez intérêt à visiter : le Clémence Dumper :http://clemencedumper.blogspot.com/

Elle fait désormais partie de l’équipe régulière du Chat Qui Louche et nous présente bimensuellement une chronique.

7 Responses to Chronique de Porto… par Clémence Tombereau

  1. Dominique B. dit :

    Une jolie nouvelle où en apparence rien ne se passe. Pourtant si l’un des deux hommes ne se montrait pas, l’autre aurait sa vie totalement bouleversée. Le quotidien insipide mais aussi un quotidien où la complicité efface momentanément la solitude. Très agréable à lire…

    Note de la correctrice. Chaque fois je remarque combien l’écriture d’un-e auteur-e québécois (le style ?) est différente de celle d’un-e auteur-e québécois…

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  2. Dominique B. dit :

    rectificatif. Chaque fois, je remarque combien l’écriture d’un-e auteur-e FRANÇAIS-E (le style ?) est différente de celle d’un-e auteur-e QUÉBÉCOIS-E.

    Je m’excuse platement !

    D.

    J’aime

  3. Dominique B. dit :

    J’essaierai mais tout est à fleur de peau et dans la subtilité. Peut-être que je ressens ces nuances parce que je viens d’ailleurs…

    Je ressens aussi cette «différence» quand je lis des traductions de l’anglais au français.

    Joli dimanche,

    Dominique

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  4. Jean-Marc Ouellet dit :

    Intéressante observation de madame Blondeau. Je sens moi-même un quelque chose de différent que j’ai du mal à définir. Est-ce lié à l’accent de la langue, comme pour l’oral ? J’ai hâte de lire les détails de ces nuances et de cette subtilité.

    Dans un autre ordre d’idée, j’aime ces textes issus de la banalité du quotidien, prouvant bien que la banalité n’existe pas.

    Jean-Marc O.

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