Gratuit le 12, 13 et 14 juin : Kassauan, un roman d’Alain Gagnon sur Amazon…

12 juin 2017

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ATTENTION !  Gratuit les 12, 13 et 14 juin…

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Saint-Euxème. La peur règne sur la communauté. Olaf Bégon, ancien directeur de la Sûreté municipale, sort de sa retraite pour mener l’enquête, mais sa bonhomie, sa connaissance des lieux et de gens, son expérience et les techniques policières ne suffiront pas. Pour contrer les forces maléfiques de la forêt, il aura besoin des savoirs et pouvoirs d’une jeune chamane autochtone, Kassauan – Neige Humide du Printemps… Commence alors un troublant voyage dans le monde chamanique : lieux fantastiques et êtres de cauchemar. Par Kassauan et Olaf, par de brefs tableaux décrivant des scènes du quotidien, par des dialogues familiers en début de chapitre qui rappellent parfois les chœurs des tragédies antiques, le romancier nous fait vivre les péripéties de l’enquête et, surtout, ressentir l’atmosphère accablante qui prévaut en Euxémie. Polar et roman métaphysico-fantastique, les oiseaux nocturnes et les monstres de la taïga et de la toundra planent sur cet ouvrage qui vaut par la juxtaposition constante du quotidien banal et du mystérieux.
« Alain Gagnon a toujours été fasciné par ces présences qui hantent des territoires que nous croyons connaître. Il se plaît à nous rappeler que nous vivons dans un pays au passé méconnu que nous refusons d’envisager. Comme si l’homme de maintenant écrivait sur des pages déjà écrites sans qu’il ne le sache. Tout un espace et un temps échappent à l’Amérique contemporaine qui fait trembler la planète.
« Heureusement qu’il y a des écrivains comme Alain Gagnon. Parce que même s’ils sillonnaient ce continent depuis des millénaires, les Autochtones n’ont laissé aucune ruine comparable à celles des Grecs ou des Romains pour nous rappeler leur existence et leur ingéniosité. Bien sûr, l’architecture des Incas ou des Aztèques impressionne, mais en Amérique du Nord, « les signes » se sont vite évanouis et on a tout fait pour les effacer. » […]
« Alain Gagnon jongle avec ce puzzle avec beaucoup d’habileté. Il le faut pour plonger dans cette histoire où plus rien n’est certain. Comme Olaf, le lecteur écoute la rumeur publique qui permet de suivre des personnages qui vivent des aventures qui sortent de l’ordinaire.
« L’auteur de Sud et du Gardien des glaces démontre sa grande maîtrise. Il possède le don de raconter la plus invraisemblable des histoires et de la rendre plausible. Il nous emberlificote. Et même s’il rôde dans des territoires que nous commençons à mieux connaître depuis Le truc de l’oncle Henry, la magie opère encore. Un plaisir, une écriture, un monde étrange et familier. Alain Gagnon construit son pays imaginaire et nous entraîne dans une autre dimension, pour notre plus grand plaisir. » (Yvon Paré)

L’auteur : Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du Livre dunouvelle-image-1 Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998). Quatre de ses ouvrages en prose ont ensuite paru chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004), Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013). Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011). En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).


La vieille Indienne, un récit de Jacques Girard…

14 mars 2016

(Le Chat ne devait rouvrir que dans quelques semaines.  Je ne peux m’empêcher d’ouvrir temporairement pour rendre hommage à l’ami et à l’écrivain Jacques Girard.  Rien de mieux que de le laisser parler.  Alain G.)

La vieille Indienne

À Pierre Gill

La Montagnaise, par Virginie Tanguay

Plusieurs la croyaient morte depuis des lunes, la vieille Wednesday.

On ne l’avait pas vue souvent sur la réserve.

Jusqu’à la mort subite de son mari, le couple vivait en forêt de la trappe.  Il se nourrissait de la cueillette des fruits, mangeait du poisson et du gibier.  Les Wednesday faisaient partie des quelques familles qui vivent encore selon le mode de vie traditionnelle.

La vieille Montagnaise revient habiter sa cabane avec ses deux fils.

Bref renouement.  L’aîné meurt dans un accident d’automobile imputable à la vitesse et à l’alcool.  Quelques mois plus tard, on retrouva le cadet dans une crevasse en bordure de la voie ferrée que le CN délaisse.  Sa gorge était nouée au bout de son foulard en fourrure.

Alors, la vieille Indienne décide de vivre sa vie.  À 80 ans.  Jamais trop tard pour emprunter son sentier, proclame la patriarche.

Elle participe à toutes les assemblées publiques du Conseil de Bande, est présente aux séances des commissions, dont celle des Aînés, assiste aux réunions diverses et prend part aux manifestations.

Les Amérindiens écoutent les aînés.  L’ancêtre profite de ce privilège.  Les quelque 1,200 Montagnais ont peine à croire que cette femme, robuste sous une apparence frêle, ait passé les trois quarts de sa vie en forêt, une vie dure, exigeante.  Elle était née sous une tente par une nuit glaciale, avait vécu son enfance et adolescence dans le territoire de chasse et de pêche de sa famille.  La jeune femme des bois avait rencontré son mari sur la grande roche chaude qui mouille dans la rivière, au pied de leur campement.  Le couple se complétait en forêt comme le bouleau et l’écorce.  Soumise à lui.  Par contre, leurs fils refusèrent cette vie.

Son entourage s’émerveille de la voir si épanouie, si connaissante.

Quelle mémoire infaillible !  La petite histoire de son peuple est gravée dans sa chair, dans ses gestes, associés aux mouvements de la lune et aux grandes saisons.

Son père fut chef du Conseil de Bande ; et son défunt mari un ardent défenseur des coutumes ancestrales.

Ses expériences, l’ancêtre aime les partager avec son entourage.

La direction de l’école primaire l’invite.  Quel succès !  La vieille Montagnaise transporte sa jeune troupe au pays de ses ancêtres,  tend un collet, un petit piège, calle l’orignal dans le silence le plus complet.  Elle allume un feu imaginaire autour duquel les jeunes se réchauffent les mains et mangent du pain, de la banik.

Son vieux bonnet ancré sur la tête, vêtue d’un poncho, la vieille Wednesday ne passe pas inaperçue.  L’aïeule sillonne le village, quelle que soit la température.  Elle pisse où l’envie la prend.  Fatiguée, la vieille dame s’assoit et se repose en fumant une grosse pipe bourrée d’un tabac dont l’odeur est forte, particulière, différente du tabac commercial.  Les jeunes disent que c’est du pot !

C’est le tabac qu’elle cultive dans son petit jardin.  Ses plants dégagent une senteur forte, louche, prétendent les voisins sans trop s’en soucier.

La vieille Indienne boit maintenant et reprend le temps perdu.  Toute sa vie, la mère avait donné l’exemple, bien inutilement, à ses enfants.  Son mari en prenait, peu.  Trop tard pour revenir en arrière.

Un matin, l’envie de boire l’avait saisie aux tripes.  Comme une grippe de castor.  Par dépit ou avec l’intention de se rapprocher des siens, la vieille dame, seule, s’était soûlée.  Avec passion.  À se rouler sur le plancher gondolant de sa cabane.

Une odeur de veille continue flotte autour d’elle !  Une odeur amplifiée par le tabac et l’absence de soins corporels.  La vieille Indienne pue la vie…

Peine à croire que ses jambes tordues et son cœur fatigué lui permettent de danser, comme une jeune fille, et de fêter toute la nuit sans cligner de l’œil.

Une gourde de cognac pend à sa ceinture.  Des perles brillent dans les longs poils qui encerclent sa bouche édentée.

On penserait que la vielle amérindienne est toujours prête à partir tant elle traîne de bagages.  Elle va sur la grande place avec le sac en bandoulière de son fils aîné et vêtu du vieux poncho effiloché de l’autre, le poète qui mariait la langue de son peuple au français.  C’était elle qui lui avait appris l’importance de maîtriser le parler des autres.  « Les mots nous rapprochent des autres », défendait-elle.  L’ancêtre agissait comme traductrice quand la professeure n’était pas là.  Comme son père, elle avait appris l’anglais en fréquentant les marchands de fourrures.

Tout un personnage dans la communauté à la recherche de son identité.  C’est ce qu’on dit.

Lorsque le Canadian National évoque l’intention de retirer le tronçon de la voie ferrée qui desservait le magasin Hudson Bay fermé depuis plusieurs années, la farouche aïeule ameute la communauté.

On occupe les lieux.  La vieille dame indigne, dirait Graham Greene, reçoit les journalistes dans une sorte de grotte, une grosse crevasse, dans laquelle son fils, le barde, était mort.

Cette voie fait partie de leur vie et est liée à leur histoire.

« Le sentier de fer et de bois coule dans nos veines comme la rivière où je suis née », clame-t-elle.  Les appuis se manifestent.

Le CN transforma la voie désaffectée en un sentier piétonnier baptisé « Le sentier de la mère Wednesday ».

Notice biographique de Jacques Girard

Jacques Girard est écrivain, journaliste, enseignant…  Il est de plus un efficace animateur culturel : on ne saurait évaluer le nombre de fidèles qu’il a intronisés à la littérature québécoise et universelle.  Ses écrits reflètent un humanisme lucide.  De la misère, il en décrit.  Aucun misérabilisme, toutefois. Il porte un profond respect à ces personnages bafoués par la vie qui hantent les tavernes, les restos et les bars semi-clandestins de sa ville.  Il les connaît bien, et il ne se distancie pas d’eux.  Il a conscience d’appartenir à la même espèce, pour paraphraser Lawrence Durrell.  Nous considérons Des nouvelles du Lac son chef d’œuvre.  Mais il nous a aussi donné, entre autres, Fragments de vieLes Portiers de la nuit et Des hot-dogs aux fruits de mer.

Notice biographique de Virginie Tanguay

Virginie Tanguay vit à Roberval, à proximité du lac Saint-Jean.  Elle peint depuis une vingtaine d’années.  Elle est près de la nature, de tout ce qui est vivant et elle est très à l’écoute de ses émotions qu’elle sait nous transmettre par les couleurs et les formes.  Elle a une prédilection pour l’aquarelle qui lui permet d’exprimer la douceur et la transparence, tout en demeurant énergique.  Rendre l’ambiance d’un lieu dans toute sa pureté est son objectif.  Ses œuvres laissent une grande place à la réflexion.  Les détails sont suggérés.  Son but est de faire rêver l’observateur, de le transporter dans un monde de vivacité et de fraîcheur, et elle l’atteint bien.

Pour ceux qui veulent en voir ou en savoir davantage : son adresse courrielletanguayaquarelle@hotmail.com et son blogue : virginietanguayaquarelle.space-blogs.com.  Vous pouvez vous procurer des œuvres originales, des reproductions, des œuvres sur commande, des cartes postales.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Les couleurs de Virginie, par Virginie Tanguay…

9 décembre 2014

        Entrons dans la danse !    

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Je les admirais et constatais à quel point la danse, c’est une prise de parole ! J’ai toujours associé mes propos à un geste. C’est à croire qu’il me faillait être là, à ce moment précis, dans un bar de Varadero. J’étais captivée par l’interaction des danseurs sur la piste. En fait, par l’harmonie des corps qui se mélangeaient et des langues qui se courtisaient. L’espagnol, le français et l’anglais cherchaient à se faire entendre parmi les sonorités suaves de la musique cubaine.

 Cette prise de parole me permettait de distinguer facilement les identités. La sensualité des Cubains s’exprimait par leurs déhanchements naturels et sexys. Leurs pas de danse, en accord avec les mouvements de leurs bras, m’invitaient à me joindre à eux. Sur place, les touristes québécois s’imprégnaient de la musique et des odeurs pénétrantes des cigares bon marché. Le coin de rue où nous nous trouvions se transformait en une grande scène remplie de talents, de sourires, d’essais et d’erreurs dans les chorégraphies.

 J’étais sous l’effet agréable du Mojito qui me coulait dans les veines. Les saveurs pétillantes de menthe fraiche, de sucre et de rhum blanc contenues dans cette boisson me revigoraient. Dans mon esprit, l’image d’un danseur cubain se fondait avec celle du danseur amérindien que j’avais peint avant de partir en voyage. C’était évident, leurs manifestations festives étaient une occasion de faire vivre l’héritage culturel, mais également un moment d’échanger en famille, entre amis et avec de purs étrangers.

 

Je me souvenais que, chez moi, au Canada, les danses amérindiennes avaient souvent été mal vues par les non-autochtones, qui les considéraient comme des danses de guerre. Elles ont été la cible de répression par les gouvernements canadien et américain. Ce n’est que dans les années 50 que l’opinion des Canadiens s’est modifiée et que la loi a légalisé les cérémonies.

 Les danses racontent souvent des histoires ; il suffit d’écouter. On y ressent tout le courage et toute la ruse déployés. Les gestes gracieux des femmes, qui s’y faufilent dans des vêtements colorés, évoquent l’importance de celles-ci.

 Évitons de percevoir une concurrence entre les langues et efforçons-nous de les entremêler, pour en arriver à nous distinguer, à partager nos expériences et nos visions. La danse crée un lien entre les nations. Suivons le rythme et… entrons dans la danse !

 Virginie Tanguay

 

 Notice biographique

Virginie Tanguay vit à Roberval, à proximité du lac Saint-Jean. Elle peint depuis une vingtaine d’années. Elle estchat qui louche maykan alain gagnon francophonie près de la nature, de tout ce qui est vivant et elle est très à l’écoute de ses émotions qu’elle sait nous transmettre par les couleurs et les formes. Elle a une prédilection pour l’aquarelle qui lui permet d’exprimer la douceur et la transparence, tout en demeurant énergique. Rendre l’ambiance d’un lieu dans toute sa pureté est son objectif. Ses œuvres laissent une grande place à la réflexion. Les détails sont suggérés. Son but est de faire rêver l’observateur, de le transporter dans un monde de vivacité et de fraîcheur, et elle l’atteint bien. Elle est aussi chroniqueuse régulière au Chat Qui Louche. Pour ceux qui veulent en savoir davantage, son adresse courrielle : tanguayaquarelle@hotmail.com.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Les couleurs de Virginie, par Virginie Tanguay…

16 septembre 2014

 Le vieil homme et l’enfant

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 Je vais vous raconter l’histoire d’un homme en quête de liberté qui est mort là où il avait choisi de finir ses jours, dans la forêt de ses ancêtres, au nord du cinquantième parallèle.

 Fier représentant du peuple montagnais du Lac Saint-Jean, cet Amérindien gardait en mémoire de profondes valeurs humaines et un respect inconditionnel pour la nature.

 Le sang qui lui coulait dans ses veines était écarlate : couleur de la passion… mâtinée de courage et d’une certaine timidité.

 Si son cœur pouvait me parler aujourd’hui, il me présenterait sans doute des cicatrices laissées par les abus de certains Blancs qui l’ont jugé à tort. Il fut traité à répétition de primitif et de paresseux. Gardant le silence, il encaissait les frustrations. Si ces gens là sont toujours vivants, je souhaite qu’ils comprennent que vivre en harmonie, c’est vivre heureux.

 Les Amérindiens pratiquaient différentes activités selon les saisons. L’hiver, les Montagnais de l’époque se dispersaient en petits groupes et partaient à la chasse. Notre vieil homme, dans son jeune temps, y participait année après année.

 C’est avec peine et misère qu’ils trappaient dans des conditions climatiques extrêmes, dormaient dehors et devaient être innovateurs pour survivre. Mon vieil ami était loin d’être lâche… Et plusieurs ont profités de ses compétences de guide et de chasseur.

 Le long voyage qui séparait les époux ne les empêchait pas de se rêver, rendant les retrouvailles des plus attendues.

 Le printemps venu, les canots d’écorces de bouleau apparaissaient sur la ligne d’horizon, au large du lac Saint-Jean. Ils étaient dirigés par les maitres trappeurs qui avironnaient avec puissance. Le panorama évoquait calme et beauté. À la vue de leur cargaison, on devinait la joie qui les habitait. Des fourrures de toutes sortes couvraient le fond de l’embarcation : martres, loutres, visons, castors, rats musqué, belettes, pécans, loups, renards et lynx.

 Comme la plupart des Montagnais, le vieil Amérindien, avait appris à vivre sur une réserve, il s’était adapté à l’enseignement des missionnaires et était devenu catholique. Ainsi s’écoulait le temps…

 Les années passèrent, l’homme comprit qu’il s’avançait vers le seuil de la mort. Il s’endormait de plus en plus, suivant en cela le rythme de la forêt qui prenait les couleurs de l’automne. Avec courage, il demanda à ses proches d’être conduit en hydravion et laissé seul à son camp, situé sur son ancien territoire de chasse. C’est à travers les eaux limpides de son lac et dans le souffle du vent qu’il voyait Dieu.

 Il prit soin d’accrocher ses mocassins à la branche d’une épinette noire pour qu’on se souvienne de lui. Enfin libre, il ferma les yeux, à jamais bordé par les couvertures de laine que sa femme avait tissées. Son corps fut retrouvé le printemps suivant.

 Le sang du défunt coule dans les veines de l’enfant que j’ai peint. Celui-ci connaît l’histoire de son arrière grand-père, il marche dans ses traces. Malgré le fait qu’il s’inquiète de son avenir, le petit Amérindien souhaite battre de nouveaux sentiers. Ce matin là, j’aurais aimé peindre un enfant tout sourire et sans crainte.

 Virginie Tanguay

Notice biographique

Virginie Tanguay vit à Roberval, à proximité du lac Saint-Jean. Elle peint depuis une vingtaine d’années. Elle estchat qui louche maykan alain gagnon près de la nature, de tout ce qui est vivant et elle est très à l’écoute de ses émotions qu’elle sait nous transmettre par les couleurs et les formes. Elle a une prédilection pour l’aquarelle qui lui permet d’exprimer la douceur et la transparence, tout en demeurant énergique. Rendre l’ambiance d’un lieu dans toute sa pureté est son objectif. Ses œuvres laissent une grande place à la réflexion. Les détails sont suggérés. Son but est de faire rêver l’observateur, de le transporter dans un monde de vivacité et de fraîcheur, et elle l’atteint bien. Elle est aussi chroniqueuse régulière au Chat Qui Louche. Pour ceux qui veulent en savoir davantage, son adresse courrielle : tanguayaquarelle@hotmail.com.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de L’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L’Espérance…

21 juillet 2013

Cœur-coquillage

 — Koukoume, comment on dit le mot « cœur » dans ta langue ?

— Je vais te le dire ishkuess mais auparavant je veux que tu comprennes qu’un cœur ne bat jamais dans le vide.  Il bat, là, caché dans ta poitrine ou dans la mienne.  C’est pourquoi, dans ma langue, on dit « mon cœur, ton cœur ou son cœur », tu comprends ?

— « Mon cœur » alors, dit la petite fille.

Nitei, répond la grand-mère.

— Et dans un coquillage, Koukoume, est-ce qu’il y a un cœur qui bat ?  Insiste la petite en tenant au creux de sa main un buccin couleur de sable.

— Au fond de la mer, le coquillage abrite un petit animal avec un cœur qui bat.  Mais quand l’animal n’y est plus, le cœur n’y est plus.

— Et comment on dit « coquillage » ?

Esh

Nitei-esh ! S’exclame alors la petite fille en serrant très fort contre sa poitrine la coquille vide.

 

Maintes fois j’ai écrit et réécrit ce dialogue en essayant de rester fidèle à l’histoire que tu m’as racontée.  Maintes fois j’ai essayé d’imaginer ta vie si seulement à cette rencontre il y avait eu une suite.  La grand-mère et la petite fille.  La petite fille, car je n’ai jamais su ton vrai nom.  Bien sûr, dans le métier, il y a ces noms que l’on s’invente.  Et laisse-moi te dire que le tien, Brenda, ne t’allait pas du tout.

D’où venais-tu ?  Je ne l’ai jamais su. Uashat mak Mani-Utenam, Pessamit, Essipit ?  (J’avais imaginé Essipit à cause de la rivière aux coquillages, ça ajoutait à ta légende.) Mais comment aurais-je pu savoir, puisque, toi-même, tu l’ignorais ?  Et n’eût été le désir de cette grand-mère de te connaître, tu n’en aurais jamais rien su.  Une brève rencontre.  Une promenade le long du fleuve.  À peine le temps de te laisser apprivoiser par cette vieille dame qui insistait pour que tu l’appelles Koukoume et qui s’exprimait avec les siens dans une langue jusqu’alors inconnue de toi.  Une brève rencontre, et puis, plus rien.  Sauf la fugue que tu fis, l’année de tes dix ans, avec en tête une seule idée : la retrouver.  Mais comment donc la retrouver avec ce seul nom en mémoire quand là-bas sur la Côte, d’Essipit à Uashat mak Mani-Utenam, il y a tant et tant de koukoumes.

À force de partager la même loge, les mêmes trajets en autocar et parfois la même chambre, on en vient aux confidences.  Ces derniers temps tu parlais de retrouver les tiens, certaine de pouvoir, cette fois, y arriver.  Tu parlais aussi de lâcher le métier.  Ce métier où l’on vieillit trop vite.  Sitôt jetées, sitôt remplacées.  Par des plus belles et des plus jeunes.  Mais toi, tu aurais bien pu afficher quelques rides, ça n’aurait rien changé.  Car tu étais belle.  Belle dans ta façon d’être au monde.  Ardente et rieuse, malgré les commentaires salaces de ces hommes qui te tournaient autour et qui, de toi, auraient voulu bien davantage que ta danse lascive et ton corps nu.  Et moi, j’avoue, de toi j’étais amoureuse et en secret, au matin, j’aimais te regarder dormir.

DSCN2779Parmi tous les clients, il y en avait un, un habitué, un assidu.  Toujours assis à la même place, tout près de la scène.  Un type de qui tu disais avoir peur.  Jusqu’ici, tu avais refusé ses avances.  Pourtant, cette nuit-là, tu l’as suivi.  Peut-être l’offre était-elle alléchante.  Un peu de poudre blanche.  Ou la promesse d’un petit matin au bord d’un lac à regarder se lever le soleil.

Ce matin-là, je me suis réveillée en sursaut.  Avec dans ma gorge, ton cri.  Un cri que l’on étouffe.  Et puis plus rien.  Sauf un grand vide et, dans la chambre, toutes ces choses qui me parlent encore de toi.  Et parmi elles, ce coquillage couleur de sable, seul souvenir de ta grand-mère.

Dix jours déjà…

Il n’y aura pas d’enquête.  La police ne m’a pas prise au sérieux.

« Une danseuse nue, partie ailleurs refaire sa vie.  Ce n’est pas la première fois qu’elle fugue… »

 

Notice biographique

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée àla fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.  Elle est l’auteure des photographies qui illustrent ses textes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


Billet de l’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L’Espérance…

11 novembre 2012

Teueikan, la nuit du tambour

À la brunante, quand au bord de la rivière les machines auront cessé leur vacarme, elle partira.  Serrant contre elle son tambour, elle tournera le dos au souffle salin de la mer et elle ira, affronter le souffle mordant du vent du nord.  Derrière elle marcheront les siens, venus des quelques réserves de la Côte pour voir une dernière fois la rivière telle qu’elle était dans le souvenir des aînés.

À la brunante, en longeant la rivière, peut-être croiseront-ils en chemin le pas de l’ours, car ensemble ils iront jusqu’où autrefois le saumon venait se reposer avant de reprendre sa course, à contre-courant ils iront jusqu’où la rivière se calme.  Et là, à l’abri du vent ils allumeront un feu.

Elle, tenant son tambour côté cœur, se tournera d’abord vers l’est, puis l’ouest, le sud, le nord, et frappera la peau tendue de son tambour, invoquera l’esprit des Anciens, et son chant ira, comme une plainte, troubler le silence de la forêt alentour.  Plus tard, quand la nuit se peuplera d’ombres, quand des pics acérés des épinettes et des branches dénudées des bouleaux on ne verra plus que les longues silhouettes s’élancer vers la voûte étoilée, serrés les uns contre les autres, les siens feront cercle autour du feu.  Puis il y aura la plume, la plume qui passe d’une main à l’autre, la plume qui appelle la parole.  Alors, homme ou femme, jeune ou vieux, chacun parlera à son tour, parlera sans que nul ne l’interrompe et, à travers le crépitement du feu, le souffle apaisé du vent, le clapotis des eaux, ses mots traceront leur chemin.  Paroles nées de la colère, du désespoir… de l’espoir, peut-être : la femme au tambour écoutera en silence les doléances des siens.

— Ueshkat… dira l’un d’eux.  À quoi bon évoquer le souvenir des Anciens, le souvenir de ce temps où sur la Terre-Mère nous allions librement, de ce temps où nous croyions encore qu’on ne peut acheter une rivière.

— Oui, à quoi bon se souvenir de ce temps où nous ignorions encore tout de ces richesses enfouies sous le continent, dira un autre, de ce temps où le Nord n’intéressait personne, sauf quelques nomades comme nous, éparpillés à des jours de marche à travers l’immensité des forêts.

Peut-être y aura-t-il quelqu’un parmi eux pour raviver la légende de Tsishenish Pien, cet Indien qui après avoir trouvé du minerai de fer s’était rendu en canot jusqu’au steamer, ancré ce jour-là au large de la côte, pour partager sa découverte avec les Étrangers.  Tshishenish Pien qu’on a vu revenir du bateau habillé comme un monsieur, chapeau haut de forme et coat à queue.

Mais le temps n’est plus à regarder derrière.

Bientôt, dira l’un d’eux, la rivière détournée de son cours viendra inonder nos terres…  Quatre barrages, 1,550 mégawatts d’électricité et en montant plus loin au nord, sur nos territoires, bientôt des mégatonnes de métaux précieux qu’ils viendront extraire du sous-sol.  Allons-nous laisser encore longtemps des Étrangers bafouer nos droits, décider ainsi de nos vies et de celles de nos enfants ?

 Que ferons-nous quand ce qui était autrefois le nord des nomades ne sera plus que le nord des Compagnies ?

La femme au tambour continuera de se taire en regardant la plume passer d’une main à l’autre et c’est alors qu’une femme semblable à elle, plusieurs fois mère et grand-mère, tenant fermement la plume dans ses mains, à son tour déclarera d’une voix douce :

— Pour se faire entendre, faut désobéir aux lois.

Et les autres approuveront en silence.

Aux premières lueurs de l’aube, quand du feu il ne restera plus que des cendres et quand viendra pour eux le temps de s’en retourner, la femme au tambour marchera devant.  Elle sentira sur sa nuque le souffle vivifiant du vent du nord et en pensant à ceux des siens qu’on a bernés et à ceux des siens qui veulent encore se battre, elle dira : Tshiuetin, en souhaitant, en secret, qu’un vent de colère continue de souffler du nord.

Pendant que tout près de la rivière, débroussailleuses, abatteuses, et débusqueuses feront à nouveau entendre leur vacarme.

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Teueikan : tambour

Tshiuetin : le vent vient du nord

Ueshkat : autrefois

  • La légende de Tshishenish Pien est tirée du livre Je suis une maudite Sauvagesse / Eukuan nin matshimanitu innu-ishkueu’ de l’écrivaine innue Ann Antane Kapesh (Montréal, Léméac, 1976).
  • Coat à queue : redingote 

 

  


Une nouvelle de Jacques Girard….

20 mai 2012

Le portier de  la nuit

Je pénètre dans la nuit. Le portier s’appelle Rilke. Prénom  inusité sur lequel butent les clients. Plus facile de l’appeler le « portier ». Ses yeux étrangement clairs coupent les ténèbres, comme un faisceau au laser.

Étrange portier à l’allure frêle. Quel contraste avec son prédécesseur qui obstruait la porte exiguë ! Et quelle pâleur ! Il fuit la lumière du jour.

« J’ai  un intérieur que j’ignorais. »  Voilà le mot de passe pour  franchir le seuil  de ce bar où se réfugient les noctambules après le last calls  dans les hôtels de Roberval. C’est le Bar de la Traversée de la nuit. L’obscurité s’étire. On vit en  sursis.  Sursis  de  la mémoire.  Mon auto  repose  à l’ombre du clocher de l’église. Dans le parc en  face,  une grosse  Amérindienne et  un Blanc à la bouche  vide se  roulent derrière  la haie de  cèdres qui entoure  le monument  des saints martyrs canadiens. Saint Jean de Brébeuf bénit leur union ardue, agitée dans cette nuit fiévreuse de juillet.

Un autre Amérindien cuve son  vin près de la galerie.  On  vit à tâtons  à l’intérieur. On vit l’un sur l’autre, dans  un accord fragile qu’entretient avec calme le portier. Cet employé intervient lorsque les gestes saccadés du jour reviennent en surface. Le veilleur, drapé d’un complet  noir, est vif. Il serpente  entre les tables. Quand la parole quitte le registre de  la nuit,  s’égare au  soleil,  s’enferme dans  le bureau, retrouve la cuisine, le portier arrive. Il convertit les mouvements de frustration, ouvre les poings fermés, change de direction les doigts pointés, détend les mâchoires crispées et occulte le sang des yeux colériques.

Dans  ce minuscule royaume, Blancs et Amérindiens cohabitent.  Dans les veines du gardien coule le sang de la nuit et des étoiles. Il efface de la main le passé, s’empare d’un mot et relance le bavardage. Le vigile parle de tout en général, avec art, sans parti pris. Il marie une Ford et une Pontiac, disserte sur  les  faiblesses de  Chrétien et  de Bouchard, et réconcilie les amours. Son aura assure  le sommeil des hommes ballonnés par la bière. Il lui suffit de passer pour calmer l’angoissé qui lutte contre les démons du quotidien, pour soulager l’éplorée dont le corps souffre de la blancheur de l’abandon. La sentinelle écroue ses clients dans la nuit, cette période de grandes douleurs salvatrices.

Rilke

Rilke clame la nuit comme le poète dont  il  emprunte l’identité. N’est-il pas l’auteur du livre culte Les Cahiers  de Malte Laurids Brigge ? Est-ce un vulgaire usurpateur ce Rilke qui vante les vertus du vampirisme, de l’espace qui rétrécit, du safari intellectuel dans le désert  du temps ?  Je  le cerne dans son  retranchement.  Laisse au vestiaire du jour ce qui est au jour. Voilà Rilke en action. Sa  main délicate saisit le mot menaçant, avec une douceur rapide, avant qu’il n’atteigne les miroirs qui bornent le bistrot. Rilke règne dans ce Palais des glaces qui allongent les ténèbres.

Le portier crée un univers factice. Moi, je l’appelle Rilke et Rilke l’accepte. Je suis aussi portier.  À l’Hôtel Lasalle. Nous sommes de la même constellation hôtelière. L’homme refuse mon pourboire.

— Bienvenue chez toi, qu’il me dit avec révérence. Je te donne ma nuit.

Bref, Rilke intrigue. J’en sais peu sur lui. Tout ce que l’on dit, c’est qu’il est arrivé par une nuit troublée. Le portier était ivre, le patron était débordé et l’étranger lui a donné un coup de main.

— T’as déjà  travaillé dans  un  hôtel,  toi ?  lui a dit le patron de sa voix de centaure.

— Oui, si l’on veut.

Portier depuis. Très discret sur son  passé. Il  a donné comme  nom  Rilke Bélanger.  Il préfère  qu’on  l’appelle  le « portier » parce que  c’est moins embêtant.  Son  père  lui a donné ce prénom rarissime par amour pour le poète Rainer Maria Rilke. Mon fils s’appelle Maxime par sympathie pour Gorki. Quelles manières d’enseignant ! Comme moi. Il a souri lorsque je lui ai parlé de cette affinité.

Le portier voyage, mais il s’arrête au besoin. Il  dit que l’air du lac lui a refait une santé et… un porte-monnaie. Ce n’est pas mauvais le gîte et le couvert, en plus des gages.

Le portier se cache du soleil. Il souffre d’une maladie de la peau, à ce qu’il dit. Vous devriez lui voir les canines ! Une grande mèche de cheveux cache une plaque blanchâtre sur le front.  On  en  retrouve  d’autres sous  des  manchettes amples. Le géographe  de la nuit arpente  la grand-rue le matin, avant l’aurore. Il emprunte la rue du centre-ville, là où se dressent trois pierres tombales qui annoncent les produits d’un fabricant de monuments.  Ce cimetière publicitaire lui rappelle son enfance.

— Lorsque j’étais gamin, la fenêtre de  ma chambre s’ouvrait sur ces trois pierres, je lui confesse.

— Nous sommes frères de la Lune.

Nous sommes des frères. On a des affinités. Mais le portier met le jour entre nous et je le comprends. Je ne tiens pas à dépasser cette limite. Notre zone, c’est la nuit. Son regard couvre le petit bar où s’entassent les piliers de la nuit. Le portier crée l’ombre pour les couples. Je l’écoute.

À ce  couple  aux  amours douloureuses, une  nuit Rimbaud-Verlaine. Le vieux, qui porte sans se lasser un chapeau et  mastique une  cigarette, s’appelle Prévert.  Apollinaire, c’est le patron.

Je lui présente mon ami. En plus d’être journaliste, il a publié Ma Nuit.

— Ton ami, c’est Antoine Blondin ?

— Excellent parallèle !

Cette Amérindienne belle à croquer dans sa vulgarité, teint cuivré, se transmue en Jeanne  Duval.

— Baudelaire en  serait  fou,  prétend  cet huissier  des lettres.

Lui opte plutôt pour une espèce de George Sand qui mène les hommes selon ses désirs. Il n’entend  pas souffrir comme Musset. Lamartine,  Vigny,  Michaud, Artaud. Nelligan, Miron et Apollinaire qui meublent son imaginaire. Brassens gratte sa guitare.

Le veilleur ouvre les nuits aux grands des mots.

« Toujours être  ivre ! De quoi ? De  vin, de  poésie,  de vertu ? Qu’importe. Pour échapper au lourd fardeau du temps qui vous accable, enivrez-vous », écrivait Baudelaire.

Le geôlier  parle des serrures  éphémères de l’amitié.

Mais sa Jeanne  ne m’intéresse pas. On s’enfonce dans les mots. On plaisante avec les voyelles sur le tableau noir.

Lorsque je quitte la nuit, l’horizon à  nouveau exhume de la terre. L’Amérindien ressuscite. Dans le parc, un vieil homme caresse les capucines de ses doigts rêches. Il déambule entre les plates-bandes, dessinant un demi-cercle imaginaire avec sa canne blanche.  Un chauffeur  l’attend  dans  une  vieille Buick indigo. Je reconnais un ancien maire de Roberval, qui rayonna sur toute la région. Un visionnaire. Les yeux me piquent.

Notice biographique

Jacques Girard est écrivain, journaliste, enseignant…  Il est de plus un efficace animateur culturel : on ne saurait évaluer le nombre de fidèles qu’il a intronisés à la littérature québécoise et universelle.  Ses écrits reflètent un humanisme lucide.  De la misère, il en décrit.  Aucun misérabilisme, toutefois. Il porte un profond respect à ces personnages bafoués par la vie qui hantent les tavernes, les restos et les bars semi-clandestins de sa ville.  Il les connaît bien, et il ne se distancie pas d’eux.  Il a conscience d’appartenir à la même espèce, pour paraphraser Lawrence Durrell.  Nous considérons Des nouvelles du Lac son chef d’œuvre.  Mais il nous a aussi donné, entre autres,Fragments de vieLes Portiers de la nuit et Des hot-dogs aux fruits de mer.


Rétro : Un récit de Jacques Girard…

20 décembre 2011

Les roches d’hiver…

Cette  histoire débute  avec  l’arrivée du  juge Lamarche à Roberval. Il venait à la rescousse du juge en place. On craignait que ce dernier, en raison de son âge avancé et d’une  récente maladie, ne succombât sous le poids des assises d’hiver qui s’annonçaient chargées. Le nouveau juge avait déjà fait un passage remarqué dans le vieil édifice du palais de justice construit le long du boulevard Saint-Joseph, la plus vieille artère de notre ville. Jeune avocat, il y avait gagné un procès retentissant. Pour la première, fois une grosse compagnie avait  dû dédommager plusieurs petits propriétaires lésés.  Sa nomination fut  donc  bien accueillie. Le magistrat et son épouse s’installèrent dans une coquette maison près du lac.

La  première cause  que  le  nouveau magistrat entendit concernait un vagabond accusé  d’avoir fracassé la vitrine d’un grand magasin. Selon le rapport de police, l’individu, un Montagnais, était bien connu et avait la réputation d’aimer la bouteille. C’était  un modèle de douceur. Sa feuille de route faisait état de plusieurs vitrines volées en éclats. Toutes celles qui s’étaient  effondrées sous l’un de ses cailloux auraient grandement suffi à ériger la  devanture de  trois magasins Gagnon et Frères.

L’accusé  commettait  son délit, s’assoyait sur le trottoir et attendait que les policiers le cueillent, tenant dans sa main la roche qu’il avait récupérée au risque de se blesser. Il ne touchait à rien. La scène se passait à la fin octobre ou au début novembre.

Impossible d’oublier ce visage. Pensez  à un boxeur de la catégorie de ceux qui servent de sac aux jeunes débutants et qui offrent leur sang en spectacle. Ses arcades étaient bombées. Le nez occupait la moitié du visage. La mâchoire paraissait soudée au mauvais endroit, à la suite d’une  vilaine fracture.   Ses dents étaient grosses et croches. Ses vêtements étaient sales, bigarrés.

Quand le clochard remonta la longue mèche de cheveux noirs qui barrait son visage,  le juge fut surpris  par ses yeux.  Ils étaient petits, très foncés et brillaient. Le regard respirait la bonté et la douceur. La vie ne l’avait pas choyé, se dit le juge.

Le tribunal débordait, ce matin-là, pour l’ouverture des assises. Le malheureux refusa un défenseur et plaida coupable d’une  voix rauque, tellement éraillée que le juge eut de la peine à comprendre et dut consulter l’agent  de sécurité. Pour le même délit, l’ancien juge l’avait condamné  plusieurs fois à cinq mois de prison. Il se convainquit que cette  peine  était démesurée.  Avec la magnanimité d’un débutant, il le gracia.

« Qu’on  le   libère ! »  ordonna-t-il avec éclat.

Le vagabond se mit alors à vociférer dans la boîte des accusés. Le juge n’y comprenait rien. Le magistrat avait peine à déchiffrer ce que son nouveau protégé déclamait.  Chose certaine,  ça ne ressemblait  pas à des  formules de  remerciement. L’homme de  loi comprit lorsque le Montagnais  traduisit en français ce qu’il avait crié dans sa langue. Ses mains difformes imploraient le  ciel. Son  spectacle se continua jusqu’à ce que le  juge,  excédé, le rappelle à l’ordre.

De peine et de misère, le dos voûté et les jambes lourdes, l’accusé  se rendit devant le bureau du magistrat et il demanda à l’agent  de sécurité de s’éloigner. L’entretien  dura quelques minutes. Ce fut l’accusé  qui parla. On  l’entendit  jusque dans  la  salle. Il était question  de roches et d’hiver…  Lorsque soudain, l’accusé s’empara  de la main du juge et la secoua.

Le Montagnais regagna  la  boîte  des  accusés.  Le silence revint. Le juge reprit la parole, invoqua des éléments nouveaux au dossier, avant de condamner l’accusé à cinq mois de prison. L’homme applaudit.

Leur deuxième rencontre eut lieu l’été  suivant.

Le juge dînait à la Tabagie Harvey, à proximité du Palais de justice. La nourriture y était bonne et c’était le seul endroit où l’on pouvait trouver un bon éventail de journaux et de revues. Le magistrat aimait lire en mangeant, et une loge, en retrait, lui garantissait un peu d’intimité. Le vagabond appréciait aussi l’endroit parce que le patron, surtout en période de dèche, savait se montrer généreux.

Le juge reconnut le clochard.

Son allure était la même. L’homme avait un sac usé jusqu’à la corde, qu’il tenait en bandoulière. Quand le proprio vint demander au visiteur de laisser le juge en paix, ce dernier s’y opposa.

« Monsieur  est  mon invité », dit-il en clignant de l’œil.

Ce midi-là, l’homme  de  loi  apprit ce que  le vagabond  voulait  dire  quand  il parlait  de               « roches d’hiver ». Cette expression l’avait intrigué lors de leur première  rencontre. En regardant  autour  de lui, comme s’il avait peur, le clochard fouilla dans son sac, en retira plusieurs pierres de la grosseur d’un œuf. Elles étaient enroulées dans des chiffons et brillaient après  avoir  été  polies. Ses   doigts  difformes les effleuraient en les rangeant sur la table.

Il en compta seize et les plaça dans un certain ordre.

Tous ses mouvements étaient religieusement étudiés comme si cela faisait partie d’un rituel. Le juge suivait la scène avec beaucoup d’attention. Qu’est-ce  qui se cachait derrière ce visage, ce corps brisé ? Ses yeux ne mentaient pas. Tout son univers était enfoui dans ce sac qui contenait aussi un vieux croûton de pain, des bouts de ficelle, un moignon de crayon et un restant de vin dans une bouteille sale.

Le clochard  raconta  l’histoire de chacune  des pierres. La première provenait de son lieu  de naissance.  La seconde,  du bord du lac où sa mère l’avait lavé. La troisième venait du petit cimetière où reposait son arrière-grand-père  qui lui avait appris à trapper. Une autre lui rappelait son terrain de chasse. Avec celle-là, il avait distrait un orignal traqué par des chasseurs. La dernière provenait du grand territoire de ses ancêtres où le gouvernement projetait de construire des portes d’eau. L’hiver, elles conservaient la chaleur. L’Amérindien  parla longuement  du pouvoir des pierres :

« Mes roches racontent ma vie, dit le vagabond de sa voix caverneuse. C’est  ma mémoire, c’est tout ce que j’ai.  C’est ma liberté, c’est aussi mon passeport-chaleur, comme diraient les Blancs. »

Le juge fut surpris par la qualité de sa langue. Ses mots étaient beaux, exacts, doux, chauds.

Il le laissa parler, ne mangea guère. Le clochard se contenta de porter à sa bouche le goulot de sa vieille bouteille.

L’automne revint. Le vagabond se retrouva devant le juge pour le même délit. Il passa l’hiver au chaud. Durant ce séjour, le pauvre hère accepta de se soumettre à des tests d’aptitudes intellectuelles.  Les résultats  indiquèrent  une intelligence supérieure  à la moyenne et une vie intérieure intense. Ils démontrèrent des talents artistiques hors du commun. Il recouvra sa liberté et reprit sa vie de clochard.

L’homme couchait sous  les  galeries, vidait  des litres de mauvais vin et ramassait des bouteilles afin de pouvoir acheter de l’alcool. Dans les bars, on abusait de lui. Pour une bière ou un verre de vin, il improvisait toutes les pitreries possibles.

Une mauvaise  grippe  l’attaqua au début  de l’automne. À la mi-octobre, des enfants le retrouvèrent mort, dans une crevasse remplie d’eau,  le long de la voie ferrée.  Ses mains étaient enfouies dans son sac. Les policiers amérindiens y trouvèrent une lettre adressée au  juge  Lamarche. On  ne connut  jamais  son contenu.

Depuis vingt ans, le vieil homme de loi dépose un caillou de la grosseur d’un œuf sur le tombeau de son grand ami. La cérémonie se déroule à la mi-octobre.

Notice biographique

Notice :

Jacques Girard est écrivain, journaliste, enseignant…  Il est de plus un efficace animateur culturel : on ne saurait évaluer le nombre de fidèles qu’il a intronisés à la littérature québécoise et universelle.  Ses écrits reflètent un humanisme lucide.  De la misère, il en décrit.  Aucun misérabilisme, toutefois.  Il porte un profond respect à ces personnages bafoués par la vie qui hantent les tavernes, les restos et les bars semi-clandestins de sa ville.  Il les connaît bien, et il ne se distancie pas d’eux.  Il a conscience d’appartenir à la même espèce, pour paraphraser Lawrence Durrell.  Nous considérons Des nouvelles du Lac son chef d’œuvre.  Mais il nous a aussi donné, entre autres, Fragments de vie, Les Portiers de la nuit et Des hot-dogs aux fruits de mer.


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